Bernard VII d’Armagnac a été assassiné à Paris, il y a 600 ans : le 12 juin 1418.
C’est un cadet de la maison d’Armagnac, dont l’essor date du comte Géraud V, son arrière grand-père, fondateur du château de Lagardère, et s’est poursuivi pendant un siècle et demi, jusqu’à devenir une des principales maisons féodales du midi. Il succède à son frère aîné, Jean III en 1391, à l’âge de 30 ans, avec, déjà une réputation de chef de guerre efficace et redoutable, parfois cruel. L’année suivante débute une période trouble, pleine de péripéties, de violence, de démagogie, de courage avec la folie du roi Charles VI.
La Folie du roi
A cette époque, le royaume de France paraît fort. L’Angleterre, en guerre depuis 60 ans a perdu presque tous ses domaines de France et est tombée dans l’anarchie. Les désastres de la grande peste du milieu du siècle sont en train de se réparer.
La folie du roi manifeste en 1392, est une catastrophe, il semble s’agir de ce qu’on appelle maintenant un syndrome bipôlaire avec hallucinations. Les périodes de délire alternent avec des périodes de grande faiblesse, où bien que lucide, il est incapable de gouverner seul. Mais reste le roi sacré incontesté.
Mais qui gouvernera ?
Le conseil du roi prend une importance décisive. Les candidats pour l’aider et le guider ne manquent pas. Ce sont d’abord ses trois frères, « les sires des fleurs de lys », fils de Charles V.
1-Louis duc d’Anjou est vite attiré par ses ambitions italiennes à Naples,
2-Philippe le Hardi, duc de Bourgogne, à la tête d’un riche domaine qui comprend la Flandre et l’Artois, le « Bénélux » actuel en plein essor économique, la Bourgogne et la Franche-Comté, et le protectorat de la Lorraine et de l’Alsace. Il semble le plus apte aux yeux de tous.
3-Le troisième fils Jean, duc de Berry, moins guerrier, est passionné d’objets d’art et préfigure un esthète de la Renaissance.
Mais à la mort de Philippe le Hardi en 1404 le problème se pose à nouveau. Il
y a deux prétendants au pouvoir, qui sont deux cousins germains : Louis d’Orléans, frère du roi et Jean sans peur, fils de Philippe, nouveau duc de Bourgogne, tous les deux de trente ans environ, s’opposent violemment.
Jean fait assassiner Louis le 23 novembre 1407, dans une rue sombre de Paris. Louis n’a que des enfants mineurs, c’est Jean duc de Berry, le dernier oncle du roi qui va les protéger. Ainsi est déclenchée une guerre civile où s’affrontent les Armagnac (car Bernard, gendre du duc de Berry, en est la tête militaire), et les Bourguignons de Jean sans peur. La lutte se fait à la fois par les armes entre bandes adverses, et par jeu d’influences à Paris, pour dominer le conseil du roi.
Paris est le centre du pouvoir. Le roi réside dans son palais de Saint-Pol, à peu près au niveau de la place des Vosges actuelle. C’est son conseil qui gouverne en réalité. Mais dans cette très grande ville de 200 000 habitants (la plus grande d’Europe), il faut compter avec d’autres puissances.
Non pas tant l’évêque, monopolisé par le concile de Constance qui tente, difficilement de terminer le grand schisme avec trois papes simultanés ; que l’Université, tenue par des clercs, très prestigieuse et active dans l’administration et le clergé ; et les corporations qui ont choisi un prévôt des marchands, sorte de maire avant la lettre, en particulier la corporation des bouchers et des écorcheurs.
C’est aussi une population nombreuse sensible aux mots d’ordre et aux rumeurs, qui peut se transformer en populace. Il existe de vrais réseaux sociaux, et les « bruits » vont très vite.
Des bandes circulent autour de Paris : mercenaires venant en particulier de Bretagne et du sud-ouest, dépendant d’un parti ou de l’autre, ou ravageant pour son propre compte. Les bourgeois parisiens qui ne comprennent souvent pas leurs langues, les appellent globalement Armagnacs, et redoutent leur rapacité
Armagnacs et Bourguignons
Après l’assassinat de son cousin, Jean sans peur avec une indécence rare proclame qu’il a agi en justicier et réussit bientôt à dominer le conseil du roi. C’est alors les Bourguignons qui dominent à Paris.
Mais le dauphin, Louis duc de Guyenne, fils aîné du roi fou, s’impose, à 16 ans en 1413, chasse les Bourguignons, et ouvre le pouvoir aux Armagnacs. Bernard VII entre au conseil du roi, et l’accompagne à la tête des troupes royales contre le duc de Bourgogne, jusqu’à Arras, Il en résulte une paix dite « plâtrée », éphémère. Le comte d’Armagnac repart ensuite en Gascogne combattre son voisin Le comte de Foix.
Devant ce spectacle d’une France qui s’autodétruit, le nouveau roi d’Angleterre (son père, l’usurpateur est mort le 21 mars 1413), Henri V de Lancastre à 25 ans,espère tirer les marrons du feu. Il conclut des alliances éphémères avec chaque parti, puis vient sur le continent faire une razzia dont il espère un riche butin.
Il a débarqué en Normandie à Honfleur et veut rentrer par Calais. L’armée du roi de France tente de l’en empêcher près d’Arras. A la surprise générale, et en particulier des Anglais, elle est écrasée à Azincourt, dans un terrain détrempé par les pluies, sous les flèches des archers anglais, le 25 octobre 1415. C’est un désastre : 7 cousins du roi sont tués, le duc d’Orléans (qui a épousé la fille du comte d’Armagnac) et le duc de Bourbon sont faits prisonniers, l’armée est détruite.
Le dauphin Louis, duc de Guyenne meurt le 18 décembre 1415. Son frère, Jean de Touraine, nouveau dauphin a 17 ans. Par sa femme, Il est très lié au duc de Bourgogne, et reste sur les terres de son protecteur.
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le gouvernement de Bernard VII
Après l’échec d’Azincourt, le roi, poussé par le duc de Berry, nomme Bernard connétable: chef des armées, le 29 décembre 1415 ; et lui donne aussi tout pouvoir sur les finances, et les forteresses royales.
Bernard trouve une situation catastrophique.
Les caisses de l’Etat sont vides et il faut de l’argent pour reconstituer l’armée anéantie, l’autorité royale est bafouée jusque dans sa capitale, l’élite est décimée, et en partie en prison, la cour vit dans un luxe tapageur et est accusée des pires débauches en face d’une population largement appauvrie.
Le vieux duc de Berry meurt le 13 juin 1416 dans son hôtel de Nesle (l’actuelle Académie Française). Le deuxième dauphin, Jean de Touraine meurt sans être revenu à Paris, en mars 2017. Sur les cinq fils de Charles VI, il ne reste qu’un seul garçon : Charles qui devient le troisième dauphin, à 14 ans. Ce sera Charles VII.
Enfin, depuis le mois d’août 2017, l’ennemi anglais est sur le territoire et entreprend la conquête de la Normandie. Le duc de Bourgogne dont les intérêts économiques sont orientés vers l’Angleterre, se garde de l’attaquer, et entre en négociations secrètes avec l’envahisseur anglais.
Il règne, en particulier à Paris un climat de guerre civile latente, avec de violents heurts dans la campagne. .
Le connétable prend des mesures brutales.
Il ordonne des taxes supplémentaires, des emprunts forcés auprès des marchands. L’ enrôlement de nouveaux soldats, souvent plus soudards que disciplinés est mal vécu. Le pouvoir contrôle des parisiens dont il connaît l’hostilité latente à son égard. Il procède au désarmement des corporations, en particulier des bouchers et des écorcheurs. Il fait murer plusieurs portes de Paris, creuser un fossé pour installer un pont-levis à la porte Saint Jacques, renforcer les garnisons de St Cloud, de St Denis.
Il veut interdire la capitale tant aux ennemis déclarés qui s’en approchent : (les Anglais), qu’aux Bourguignons au double jeu, qui ont juré sa perte. . Bernard s’aliène la reine qu’il fait quitter Vincennes et ses fêtes, pour Tours. Il fait chercher son trésor qu’elle aurait caché. Elle s’allie alors à Jean sans peur.
L’hostilité s’accroit parmi les bourgeois de Paris, savemment attisée par Jean sans peur, duc de Bourgogne, grand expert en démagogie, qui réclame une réforme de l’état discutée avec les bourgeois de la ville, la libération des prisonniers et la suppression des impôts…
la trahison
Paris est entouré de troupes et de brigands et ferme les portes de ses remparts. La porte qui donne sur le faubourg saint Germain, actuellement au croisement de la rue St André des Arts et de la rue Mazet, a été confiée à un notable respecté le seigneur de Bussy, dont elle prend le nom. Le gardien des clefs est un « marchand de fer » (d’outils), du nom de Leclerc. Son fils, Perrinet, qui s’est querellé avec un agent Armagnac, vole la clef et ouvre, la nuit du 29 mai 1418, la porte de Bussy à Villiers de l’Isle Adams, partisan de Bourgogne et une centaine de soldats, en connivence avec le parti pro-bourguignon de la ville. La surprise est totale. C’est une véritable chasse à l’Armagnac soutenue par la corporation des bouchers.
Les responsables Armagnacs sont tués ou mis en prison. Le prévôt de Paris : Tanneguy du Chatel réveille et réussit à faire fuir le jeune dauphin Charles. Il essaie une contre attaque à partir de la bastille St Antoine, qui échoue devant les renforts bourguignons. Il fait partir le dauphin à Bourges où son parti se regroupe.
Bernard d’Armagnac, surpris dans son hôtel situé à peu près au niveau du conseil d’état actuel, tente de s’enfuir. Il trouve refuge chez un voisin maçon, qui va le livrer aux troupes bourguignonnes. Il est emprisonné à la conciergerie du Palais, dans la Cité.
Quelques jours après, les bouchers, menés par Caboche et le bourreau Capeluche lancent une chasse aux Armagnac dans toute la ville, et vont les chercher et les massacrer jusque dans les prisons. Bernard VII est tué à la Conciergerie, le 12 juin, piétiné et profané dénudé et traîné jusqu’à la porte Saint Martin. On découpe sur son cadavre une bande de peau de l’épaule droite au flanc gauche, pour figurer l’écharpe blanche emblème des Armagnac. Ce qui reste de son cadavre est abandonné dans du fumier près de St Martin des Champs, l’actuel conservatoire des Arts et métiers, où il sera enterré un peu plus tard.
Ce n’est qu’en 1437, 25 ans après, lorque le roi Charles VII aura reconquis Paris, que lui seront faites des funérailles solennelles.
Le massacre se poursuit, estimé à 2000 morts, sinistre préfiguration des massacres de septembre 1792.
Jean sans peur, qui a organisé les troubles, reste quelques mois à l’écart, attendant que la situation se calme, et entre triomphalement dans Paris avec la reine le 14 juillet 1418. Il tente de déconsidérer le dauphin Charles, futur Charles VII, replié à Bourges, auprès de qui se réunissent les Armagnacs.
« un grand malheur au royaume de France »
1418 consacre la déroute des partis Français vis à vis des Anglais, aidés par le très puissant duc de Bourgogne. Quant à Jean sans peur, Il sera assassiné sur le pont de Montereau après une entrevue avec le dauphin, le 14 septembre 1419, un peu plus d’un an après la mort de Bernard VII.
Le traité de Troyes, de 1420 livre implicitement le royaume aux Anglais, puisque le roi Henri V, devenu gendre du roi de France est proclamé régent, et son fils futur Henri VI, sera roi de France et d’Angleterre. Mais celui-ci deviendra fou, commme son grand père.
Il faudra attendre 174 ans pour qu’un autre comte d’Armagnac entre triomphalement dans Paris, le 22 mars 1594. C’est Henri IV, roi de France et de Navarre, mais aussi entre autres, comte d’Armagnac, descendant direct de Bernard VII. Il y sera lui aussi assassiné seize ans plus tard.
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