Inventaire de 1615

L’inventaire après-décès réalisé en 1615 a été découvert à la fin d’un registre du notaire Dayrens de Bezolles (Archives départementales du Gers, 3E 2961registre de 1615 du notaire Dayrens domicilié à Bezolles). Il permet de comprendre (imaginer ?) un peu mieux la structure du château, et les objets de la vie quotidienne de ses habitants. 

Le 9 septembre 1615, Arnaud de Lavardac, seigneur de Lagardère depuis 1595, âgé d’une cinquantaine d’années, fait son testament. Il n’a pas d’enfant légitime vivant. Il a deux filles bâtardes : Charlotte et Alix, et une sœur : Alix, épouse de Jean-Pierre de Caulet, seigneur du Lian (de Gondrin). Le collège d’Auch est désigné comme le légataire universel. Il est sans doute atteint d’une maladie aigüe d’évolution rapide, car il meurt le 11 septembre. L’héritage n’est pas contesté, mais, prudent, le recteur du collège d’Auch demande un inventaire avant de décider d’accepter ou non la succession.

C’est ainsi que le 12 septembre 1615, vers midi, sans doute au retour du cimetière, après l’enterrement du seigneur Arnaud dans l’église voisine, un petit groupe formé par deux représentants des Jésuites du Collège d’Auch, les deux filles, la sœur et son mari, l’exécuteur testamentaire, Jean de Saint-Gresse, seigneur de Séridos (près d’Ampeils, sur la route de Valence) Jean de Vic, notaire à Lagardère, Maître Lannevic, prêtre à Bezolles, Maître Aris, apothicaire à Condom, entreprenne la visite du château.

A leur suite, on peut visiter le château du défunt, et circuler dans ses différentes pièces, souvent qualifiées de « chambres », en s’aidant des plans du château.

    L’entrée, depuis les modifications qu’a réalisées Pierre de Lavardac, père du défunt, une vingtaine d’années auparavant, se situe à l’ouest, vers le hameau du Petit Jouan qui n’est pas encore devenu ce qu’il est aujourd’hui, le cœur du village. Le pont-levis est baissé, on peut entrer en gravissant le petit talus sur lequel il s’appuie.

I-Rez-de-chaussée- première partie :

On pénètre ainsi dans l’entrée qui est aussi écurie. C’est une pièce peu haute : deux mètres cinquante, éclairée par deux fentes de jour à droite (au nord). On laisse le cheval bai du seigneur, à droite la fénière et son foin, quelques barriques, une paire de roues de charrette, et deux cuves servant à faire « bouillir » (fermenter) la vendange, et un cuvier pour fouler le raisin.

A gauche, on voit la porte (actuellement porte inférieure dans le mur de refend) donnant sur les greniers, et permettant de descendre aux caves.

On atteint, au fond de la pièce, l’escalier, éclairé par une fenêtre dans le mur du fond (ouest), pour monter au premier étage. On voit toujours, sur ce mur, la trace des marches.

« étable » (écurie), pièce du rez-de-chaussée, au nord :
1-fénière avec 20 charges de foin ; 2-deux cuves « à bouillir la vendange » (fermenter) ; 3-un cuvier à fouler la vendange ; 4-quatre barriques ; 5-deux roues de charrette ; 6-escalier menant au 1er étage.

« petit grenier, près de la porte », pièce du rez-de-chaussée, au milieu
1-escalier menant au 1er étage ; 2-escalier venant des caves, au sous-sol.

« Grand grenier », pièce du rez-de-chaussée, au sud :
différents sacs de grains

II-Premier étage – première partie

Au premier étage, c’est le milieu de la partie « logis » du château, par opposition à la grosse tour sud et aux deux tourelles nord. En tournant vers la gauche (vers le nord), on peut passer par la porte supérieure du mur de refend et atteindre la « salle du côté de la galerie » au-dessus de l’écurie. C’est la salle d’accueil du château. C’est une grande pièce, de plus de huit mètres sur sept, haute de quatre mètres environ, mal éclairée par quelques vieilles arbalétrières plus ou moins remaniées, et sans doute, une fenêtre plus grande, à la place des fours actuels (Ces fours ne seront construits que cent ans plus tard, lorsque le château, sera devenu une simple exploitation agricole), dans le mur nord. On accède aux deux tourelles d’angle, qui constituent là deux petites pièces, celle du nord étant une latrine.

Dans cette pièce il y a une grande table à rallonges, sur ses tréteaux et de nombreux sièges, comme il convient dans une pièce d’accueil : douze chaises, quatre escabeaux, six chaises basses, cinq « escabelards » (banquettes)…

On y a fait quelques décorations : une hallebarde et un râtelier attaché au mur, comportant trois arquebuses, une ancienne à mèche, deux plus récentes à rouet pour allumer la poudre. Mais ces armes lourdes, qui nécessitaient un support, le fourquin, et tout un temps d’installation, font déjà, à cette époque, figure de souvenirs décoratifs, souvent remplacés déjà par des mousquets, plus maniables… 

Il y a aussi un dressoir (vaisselier) où est exposée la vaisselle d’étain, et dans un coin, comme, dans presque chaque pièce, un lit complet avec coffre au-dessous et ciel de lit au-dessus, avec ses tentures (archelit). 

L’équipe qui procède à l’inventaire est là, avec le notaire Dayrenx, de Bezolles, qui rédigera les papiers officiels 

« chambre du côté de la galerie », pièce du 1er étage au nord :
1-table « relongée » ; 2-dressoir ; 3-râtelier : trois arquebuses ; 4-hallebarde ; 5-six chaises « fort basses » ; 6-quatre escabelles ; 7-un escabelard avec une table attachée ; 8-deux escabelards «  pour asseoir à table » ; 9-un archelit garni ; 10-latrine.


chambre contre les greniers », pièce du 1er étage, au sud :
1-un archelit sans fond ; 2-une couchette ; 3-un banc ; 4-un banc « pour les petits enfants ».

III-Deuxième étage

En fait, le notaire et le seigneur de Saint-Gresse sont tout de suite montés au-dessus, au deuxième étage, pour y chercher le principal coffre du feu seigneur de Lavardac, dont St Gresse avait la clef. C’est un grand coffre avec ses ferrures, fermé à clef, bien sûr. Dès le décès du seigneur de Lagardère, Jeanne Blondeau, la chambrière, sur les ordres de son maître, avait donné la clef au seigneur de Saint-Gresse. Celui-ci cacheta aussitôt le coffre, qui, jusqu’à la visite officielle est demeuré en l’état. Le notaire l’ouvre devant témoins. On y trouve de nombreux actes notariés, mais pas de trésor que certains auraient pu espérer.

Les papiers furent confiés au notaire qui les colligea soigneusement. Il s’agit de contrats, de créances, de dettes, du compte-rendu de l’hommage, en 1525 du seigneur à son suzerain le duc d’Alençon, neveu et successeur du dernier comte d’Armagnac. On y trouva aussi le testament de Bertrande de Pujollé, du 17 novembre 1607, épouse d’Arnaud de Lavardac, le seigneur défunt.

Arnaud de Lavardac avait épousé Bertrande de Pujollé dont la dot s’élevait à 3500 livres. En 1596, presque dix ans auparavant, François de Pujollé, frère de Bertrande et donc beau-frère d’Arnaud, était mort en désignant Arnaud de Lavardac comme tuteur de son fils, Jean-François de Pujollé vicomte de Juliac. Il s’agit d’une importante seigneurie correspondant à la partie landaise de l’Armagnac (La Bastide, Mauvezin, St Julien). C’est déjà de l’histoire ancienne, mais qui a tourné court, car, dit le chroniqueur « le seigneur de Lagardère préférait sa tranquillité aux soucis d’une gestion compliquée du domaine de la vicomté. Il laissa à la dérive les affaires de son pupille en se confinant dans son splendide château de Lagardère. Le nouveau tuteur, alors désigné, fut d’ailleurs bien pire, et exerça un gaspillage effréné »[i]

Les hommes de lois, grâce à l’ouverture de ce coffre, vont pouvoir préciser la situation financière de la succession.

On peut rejoindre alors au deuxième étage, qui au XIII° siècle était le seul étage d’habitation du château. En montant l’escalier, sans doute appuyé sur le mur de refend, on gagne rapidement la « chambre du côté du midi », dans la grosse tour sud, là où, il y a quelques années, on voyait une grande brèche, maintenant réparée

C’est la chambre personnelle du seigneur défunt. Son père, Pierre de Lavardac, y a fait aménager une cheminée dans le mur est, vers le village actuel, condamnant ainsi une arbalétrière plus ancienne. A droite de la cheminée : une latrine, pouvant, en cas d’attaque, servir de bretèche. La pièce est assez grande, environ sept mètres sur six, haute de quatre mètres, et surtout bien éclairée par deux grandes fenêtres géminées (deux ouvertures jumelles séparées par une colonnette), avec coussièges, c’est à dire des bancs de pierre faisant toute l’épaisseur du mur (près d’un mètre cinquante) et permettant de profiter au plus près de la lumière et du paysage.

Il y a un dressoir contre le mur, un coffre, essentiellement rempli de linge, deux chaises, et deux lits-coffres complets, avec leurs matelas de plume, couverture de taffetas, draps, et rideaux de « ternet » verts pour les deux lits. Dans un coin, une chaise-percée.

En quittant cette pièce vers le nord, on trouve tout de suite « la cuisine », centrée par une grande cheminée, la seule du château lors de sa construction au XIII° siècle, et dont on voit très bien la trace aujourd’hui. Elle a des landiers (chenets), permettant d’accrocher divers instruments de cuisine, crémaillère, gril, plusieurs marmites de fonte (metau), plat et tasse d’étain, chaudron, grande chaudière en cuivre, louches, bassine de cuivre, cruche de terre. La cuisine est à peu près de la taille de la pièce précédente, et de même hauteur. Elle est éclairée par une seule fenêtre géminée ouverte sur le mur ouest, vers l’église. Elle est complétée à l’est par une « chambre contre la cuisine », c’est à dire une souillarde, avec son évier, toujours en place et l’écoulement conduit jusqu’au rez-de-chaussée par un tuyau de plomb. Actuellement on ne voit plus le tuyau, mais bien l’orifice d’écoulement, au niveau du deuxième étage, dans le mur est, quand on arrive du village.

Dans cette souillarde, on trouve un coffre-bahut, une table, deux cuviers pour saler les morceaux de porc, quatre panières pour mettre les grains, des fèves, des pois carrés, des pois blancs, dont on trouvera la réserve dans les greniers du rez-de-chaussée…

Dans la cuisine proprement dite, on voit une armoire et un vaisselier, un coffre pour les affaires personnelles de la chambrière (qui est sans doute, aussi, cuisinière), son lit avec couette, drap et coussin et un tabouret. Il y a aussi les affaires du seigneur dont elle devait s’occuper, une caisse avec robe de nuit en drap de Carcassonne, un pourpoint de camelot gris, des nappes, un chauffe-lit (un moine). On trouve aussi quelques éléments d’éclairage : un gros chandelier de laiton, deux careilhs. Il y a aussi un pétrin (parau), mais il ne semble pas qu’il y ait eu de four à pain individualisé dans la cheminée, les fours que l’on observe maintenant dans le mur nord sont beaucoup plus tardifs.

Plus au nord, après la cuisine, on accède à « la grande chambre du milieu », où se trouvait le coffre aux papiers… C’est la plus grande pièce du château, sans doute dix mètres sur huit, et au moins quatre mètres de hauteur. Son ameublement comprend une table, deux chaises, une banquette, un escabeau, mais aussi un coffre-bahut pour le linge : draps et serviettes, une armoire avec des fioles et de la vaisselle d’étain. Bien sûr, il y a aussi un lit-coffre, avec couette, draps, couverture blanche et rideaux jaunes. La pièce est éclairée par deux grandes fenêtres en vis à vis, dans les murs est et ouest, du même type que celles qu’on a trouvées dans la chambre du seigneur, au midi.

Cette pièce débouche au nord, sur la « galerie », nom donné alors aux hourds qui surplombent le sommet du mur nord. Elle est sans doute éclairée par deux grandes fenêtres au nord, et une demi-croisée, à la limite de la tourelle, sur le mur est. Dans la tourelle ouest on a installé une latrine. Dans la galerie, on trouve une table avec ses tréteaux, son tapis de laine, une chaise et une banquette.

« galerie », pièce du 2ème étage, au nord :
1-une table ; 2-un escabelard ; 3-une chaise ; 4-latrine.

« grande chambre du milieu », 2ème étage, au milieu :
1-une escabelle ; 2-une table ; 3-un archi-banc ; 4-un escabelard; 5-un coffre-bahut (linges) ; 6-un archelit ; 7-deux chaises ; 8-« une petite garde-robe fermée à clef » (fioles, étains) ; 9-coffre aux papiers notariés ; 10-arrivée de l’escalier venant du 1er étage.

« petite chambre du milieu » : cuisine, pièce du 2ème étage, au milieu (et souillarde vers l’est) :
1-un archelit ; 2-un coffre (hardes de Jeanne Blondeau) ; 3-une caisse (robe de nuit, pourpoint) ; 4-un vaisselier ; 5-une table ; 6-une escabelle ; 7-une armoire à 4 piliers (étagères) ; 8-une table de sapin ; 9-un coffre-bahut ;10-deux cuviers « pour saler les pourceaux » ; 11-quatre panières (grains, fèves et pois ; 12-cheminée (et chandeliers, careilhs, chenêts, crémaillère, marmites de fonte) ; 13-évier (avec tuyau de plomb d’évacuation) ; 14-« chauffe-lit » : moine ; et des ustensiles de cuisine (bassin de laiton, chaudière en cuivre, louches, broche, cruches, pots, plats et assiettes d’étain, poêle, bassine, lessiviers,…).

« chambre du côté du midi, pièce du 2ème étage, au sud (chambre du seigneur) :
1-archelit garni (rideaux verts, couette, matelas, coussin, couverture) ; 2-archelit garni (id) ; 3-table ; 4-deux chaises ; 5-dressoir ;6-coffre à linge ; 7-chaise percée ; 8-cheminée (et chenets) ; 9-latrine (aujourd’hui modifiée) ; 10-escalier vers le 3ème étage.

IV-Troisième étage

Il reste à voir le « galetas » qui est la seule pièce de ce niveau. Elle se situe au-dessus de la chambre du seigneur. C’est la pièce la plus élevée du château, permettant d’accéder à l’échauguette de l’angle sud-est. A l’époque de l’inventaire c’est un débarras, avec des tréteaux, un banc, un vieux lit démonté et des armatures d’autres lits, un lit d’enfant, et un coffre avec des papiers de moindre importance que ceux que l’on a déjà vus. On accède à ce galetas par un escalier venant de la chambre du seigneur, au deuxième étage, à gauche de la cheminée. 

Maintenant il faut redescendre.

« galetas », seule pièce du 3ème étage, débarras, ancienne chambre :
1-archelit ; 2-arrivée de l’escalier ; 3-« un gros banc » ; 4-un coffre avec des papiers.. ; 5-un « placard de fenêtre » (cadre) ; 6-deux lits démontés ; 7-deux chevets de lit ; 8-un banc ; 9-échauguette.

V-Premier étage- deuxième partie

Au premier étage, on a déjà vu la pièce d’accueil, dite « chambre du côté de la galerie », c’est à dire au nord, au-dessus de l’écurie. A côté d’elle, plus au sud, le milieu du château est occupé par une pièce carrefour où débouchent les escaliers :

a-celui qui vient de l’entrée-écurie, contre le mur ouest et arrive ici,

b-celui qui permet d’accéder au deuxième étage, contre le mur de refend, et dont il ne reste rien, mais qui devait être le « grand » escalier,

c-celui qui vient du rez-de-chaussée, juste en dessous, et occupe l’angle sud-est de cette pièce.  On en voit les traces, assez confuses sur les murs actuels. C’est donc une grande cage d’escalier.

Au sud de cette pièce carrefour, donc au-dessous de la chambre du seigneur, et au-dessus du grand grenier de la tour sud, il y a « la chambre contre les greniers » : une pièce annexe, avec deux lits, un banc pour adulte et un banc pour les petits enfants.

VI-Rez-de-chaussée- deuxième partie

En descendant par le troisième escalier (c), dans l’angle sud-est de la cage d’escalier, il y a, au rez de chaussée, au milieu du château, le « petit grenier près de la porte », puisqu’au-dessus des caves, c’est la pièce la plus proche de la porte ouest, porte primitive, en haut de l’escalier qui y descend.

Plus au sud, à côté, se situe le « grand grenier » dans la grosse tour, au-dessous de la « chambre contre les greniers ». Ce sont des pièces basses (deux mètres cinquante de hauteur) et assez mal éclairées, au moins pour le « petit grenier ». On y stocke des sacs de seigle, d’épeautre (variété antique du blé, principale source de pain à l’époque romaine), d’orge, d’avoine, de millet, des pois et des fèves, base de l’alimentation en féculents qu’on peut conserver secs.

Il y a aussi douze sacs de garbailhe (débris des gerbes), sans doute résultat de la dernière moisson de l’été 1615. Les graines de lin servent à produire l’huile de lin, nécessaire pour l’usage des lampes de type careilh.

VII-Sous-sol – caves

Une échelle, ou un escalier permet de descendre du rez-de-chaussée en venant du petit grenier. Il y a au moins trois caves distinctes : entre le mur nord et le mur de refend, entre le mur de refend et la tour, au niveau de la tour. Celle du milieu est appelée dans l’inventaire « cave au-dessous du pont », (sous le grand escalier, selon une expression classique du XVI°). Ce sont des pièces basses (deux mètres de haut, ou un peu plus) et sombres. Un puits est signalé, sans doute contre la face nord du mur de refend, ainsi qu’un canal d’écoulement qui s’approche de l’évier du mur nord et sa goulotte d’évacuation.

« cave au-dessous du pont », pièces du Sous-sol :
1-puits ; 2-escalier menant au rez-de-chaussée ; 3-porte du mur ouest (actuelle).

 Les caves ont l’unique fonction de traiter la vendange et préparer le vin. On y voit des barriques « foncées » (avec un fond) ou pas, des tines (comportes), un entonnoir. Il y a quelques restes de l’année précédente, du « vin gâté » et du vinaigre.

On sort par la porte du mur ouest, porte d’origine, mais amputée de la partie haute par le cloisonnement horizontal qui a partagé l’ancien cellier en deux niveaux. Elle a deux mètres environ de hauteur. Elle a repris, très récemment, sa forme et hauteur d’origine.

En tournant devant le mur nord, au-dessous du surplomb que constitue la galerie, se trouvent huit barriques vides, avec un pressoir (trouilh) démonté en sa poutre maîtresse et sa grosse vis de bois…

 L’équipe qui dresse l’inventaire va ensuite se rendre dans les dépendances : le moulin à vent, sur un point haut du village, entre le Belon et le Hillet, qui paraît être une ruine inutilisable ; la métairie principale, La Bourdette, juste au nord du château, dont dépendaient peut-être les autres fermes : Puybergé (devenu Pébergé), et Pédané.  C’est La Bourdette qui est la principale ressource de revenus économiques du seigneur. Elle ne fait pas mention de la tuilerie (les Téoules) qui était sans doute déjà « affermée ».

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Cet inventaire nous donne des éléments de réponses à deux questions que l’on peut se poser :

I-Comment un château gascon du XIII° siècle a été transformé en une demeure seigneuriale de la fin XVI° siècle ?

II-Peut-on, grâce à lui approcher (imaginer) le mode de vie du seigneur ? dans un petit château du Fezensac, au XVI°-XVII° siècle ? 

I-la transformation d’un « château gascon » du XIII° en résidence seigneuriale du XVI°

Pierre de Lavardac, père d’Arnaud, avait acheté en 1578 le château de Lagardère au chapitre de l’évêque de Condom, propriétaire, à la suite de l’abbé devenu évêque, depuis le XIV° siècle.

Le château date de 1271. C’est un « château gascon » : petite construction à visée défensive, sans cour intérieure, constituée d’une grosse tour, accolée au logis, ou salle, et flanquée de deux tours de guet. Lagardère est le plus grand des « châteaux gascons » : environ 10 à 15 m de large sur 28 de long, et Plus de 20 m de hauteur. La structure en est très simple : 
-Sur le plan horizontal : du sud au nord, la grosse tour (10m sur 9), la salle (10m sur 15), et les deux tourelles,
-Sur le plan vertical, du sol au sommet : un espace de réserve et d’éventuel refuge, de 5 m de haut, un étage militaire, garni de meurtrières, pour la garnison, et là aussi, éventuel refuge de la population, de 4,5 m de haut, un étage résidentiel, avec la chambre seigneuriale, la cuisine comportant la seule cheminée du château, et, seulement pour la tour, un étage supplémentaire, renforçant le guet.

Pierre de Lavardac, après 1578, garde les murs et la structure générale, mais l’adapte à sa résidence, avec le minimum de frais.
-sur le plan horizontal, il supprime les deux piliers massifs qui supportaient le premier étage (comme à Gajan), et les remplace par un mur de refend, situé est-ouest au milieu de la salle, sur lequel s’appuiera l’escalier principal.
-sur le plan vertical, il partage en deux, par un plancher intermédiaire la grande zone de réserve : la partie inférieure devient caves, la partie supérieure pièces à vivre.

-Par ailleurs, la petite porte qui n’est plus alors que celle des caves, à l’ouest, est remplacée par une porte plus majestueuse à l’est donnant accès à la partie supérieure de l’ancienne zone de réserve. Or le côté est, vers le hameau de petit Jean, est militairement le plus exposé : il protège la nouvelle porte par un pont levis, et construit en haut de l’angle sud- est du château une échauguette permettant de surveiller tout élément s’approchant de la porte.

-Enfin, il réaménage la chambre seigneuriale par une nouvelle cheminée et des latrines, et prolonge l’étage résidentiel au nord, entre les deux tourelles par une galerie, utile au séjour comme au guet.

L’inventaire fait une vingtaine d’années après ces transformations, permet de mieux identifier les nouvelles pièces :

De haut en bas

1-Au sommet de la tour (environ 22 m de hauteur) la pièce de guet est devenue galetas selon le terme employé et ne contient que des meubles au rebut dont un lit d’enfant : était-elle une chambre d’enfants pour Arnaud et sa sœur Alix ?

2-Au-dessous : le deuxième étage, est l’étage résidentiel. Au sud, la « chambre du midi » est celle du seigneur, avec sa nouvelle cheminée. Le mobilier est simple.
Plus au nord, la cuisine avec la grande cheminée, et son annexe, qu’on pourrait appeler souillarde avec son évier « muni d’un tuyau de plomb, allant jusqu’au sol ». On y trouve le mobilier attendu : ustensiles de cuisine, coffres,
Plus au nord ; la « grande chambre du milieu » est sûrement la pièce à vivre, avec table et sièges,
Enfin extrémité nord, la « galerie » avec table et sièges.

3-Au-dessous, le premier étage, garde son allure militaire antérieure, puisqu’il n’est éclairé que par les seules meurtrières, complétées sans doute par quelques ouvertures grossières, dont on ne sait pas si elles sont de cette époque, ou plus tardives. Au milieu, entre mur de refend et cloison se trouvait sans doute le grand escalier principal, dont il ne reste rien.
Au nord, entre mur de refend et tourelles une grande pièce dite « chambre vers la galerie », est sûrement la pièce d’accueil, car c’est elle qui en plus de sa table, a le plus grand nombre de sièges.
Au sud, une « chambre près des greniers », sans particularité.

4-Au rez-de-chaussée, dans la pièce, au nord à laquelle on parvient par la porte est à pont levis, on est surpris de trouver le cheval du seigneur avec la réserve de foin…C’est donc une entrée-écurie. Les autres pièces de ce niveau, à côté des escaliers servent de greniers.

5-Enfin, au-dessous : sous-sol en venant de l’est, mais niveau du sol à l’ouest, se trouvent les caves avec différents tonneaux.

Donc,
-un espace résidentiel simple mais adapté au deuxième étage,
-un espace d’accueil avec l’entrée écurie et la pièce au-dessus de la porte,
-des éléments de circulation : escaliers divers

Le château n’a pas perdu sa fonction de défense, grâce à sa porte pont-levis et l’échauguette qui la défend, et ses meurtrières, mais celle -ci est très modeste au regard de l’artillerie de l’époque…Il a développé sa fonction de résidenceen gardant et diversifiant les espaces de réserve : grains séparés du vin.

II-le cadre de la « La vie de château » en Armagnac au début du XVII° ? 

Un cadre rude et sévère : On trouve essentiellement un matériel fonctionnel :

1-De quoi faire la cuisine
Pour cuire dans la cheminée : landiers, cramails, métau, broches,
-un bassin de laiton pour laver les mains : souci d’hygiène !
-un pétrin (Parau) : chaque maison doit faire son pain (mais pas de four à pain spécifique, ceux du mur nord datent du XVIII°)

2- de quoi ranger :
-buffets, dressoir, vaisselier, coffre-bahut,
-garde-robe (sorte d’armoire où l’on trouve des fioles et un plat d’étain), 
-des coffres fermant à clé pour papiers, ou linge (draps : linceuls). 
-peu de linge du seigneur : un manteau doublé de taffetas (dans le coffre de la chambrière, donc peut-être à repriser ?), un pourpoint de camelot, une robe de nuit en drap de Carcassonne…

3-de quoi dormir :
– archelits (armature de lit) dans presque toutes les pièces, mais seulement 4 lits montés : matelas-couette, coussins, traversins, draps, couverture. Dont deux dans la chambre du seigneur, un près de la cuisine (pour la chambrière = femme de chambre ?) sans oublier l’échauffe-lit, c’est-à-dire le « moine ».

4-de quoi s’installer : 
-chaises, bancs, escabelles, escabelards, une chaise percée dans la chambre du seigneur.
-Tables relongées, et tables à tréteaux

4-De quoi manger :
-Pas de vaisselle de faïence ou de porcelaine, -13 plats d’étain, 6 assiettes d’étain
-Dans les réserves : Pas de haricot, pas de maïs, pas de pommes de terre, toutes denrées importées d’Amérique et non encore familières… 
-mais des fèves, des pois-garosses (pois carrés, gesse), des pois bayards ( ?)
Du blé, de l’orge, de l’avoine, du millet.

5-des objets de loisir ou de luxe ? pas de meuble bibliothèque, de livre, de décor, d’objet d’art, de jeu de société, de tapisserie…
Les arquebuses sur un râtelier dans la pièce d’accueil : rappel qu’on est chez un chevalier, homme d’armes ?

Il s’agit donc, d’un matériel courant de campagne, et d’une seule activité agricole : avec le pressoir et la fermentation pour le vin dans l’écurie et dans les caves, sans aucun signe « de luxe » ni de culture.

 On peut comparer la situation à celle que reflète l’inventaire de 1635 (vingt ans après) d’un château assez proche : le château de Castelmore, à la mort du père de notre mousquetaire célèbre : Charles de Batz, dit d’Artagnan. Le château devait être un peu plus petit que Lagardère, il était bien différent du château actuel, complètement reconstruit au XVIII°. La famille de Batz, anciens marchands, « vit noblement », et a fait une alliance importante par le mariage de Bertrand qui vient de mourir, avec Françoise, d’une branche collatérale de la famille de Montesquiou. C’est elle, qui, veuve, tient la maison.
On y trouve un état comparable à celui de Lagardère : de quoi faire la cuisine, de quoi dormir, de quoi s’installer, de quoi manger.
La seule différence est la présence de « trois tableaux, vieux », dans la chambre de la demoiselle, et d’un billard, dans la grande salle du premier étage.

Est-ce Austérité ou pauvreté ?

1-austérité ?
Le seigneur qui vient de mourir, est un vieux (cinquante ans), veuf depuis huit ans, vivant seul semble-t-il avec une chambrière qui vit sur place. Les autres serviteurs qu’il devait y avoir habitaient sans doute un des hameaux de la communauté de Lagardère.
Est-ce un vieux grincheux, confit en dévotion ?
Est-ce lui ou son père qui en, juillet 1587 a été sollicité par son voisin Montespan (de Pardaillan) pour assiéger Vic au nom de la ligue ? A-t-il été un ligueur fanatique ?
C’est vrai qu’il lègue tout ce qu’il a aux Jésuites d’Auch. Est-ce un signe d’austérité voulue ? On peut y voir plutôt un intérêt pour le lycée d’Auch que les Jésuites ont récemment rénové.
Peut-être austère, mais il y a quand même deux filles bâtardes, Charlotte et Alix, qui sont intéressées à la succession…
On ne sait rien de plus de ce personnage, sinon qu’il paraît assez procédurier, en particulier avec la communauté de Lagardère, et le chapitre de Condom à propos de la dîme, mais est-ce original ? et qu’il a été considéré à un moment comme riche, et a été chargé de la tutelle du neveu de sa femme, le jeune vicomte de Juliac.

2-pauvreté ?
C’est l’interprétation la plus simple. Aucun élément ne peut appuyer une richesse actuelle, matérielle ou culturelle. 
Le matériel est « fort usé » ou « rompu ». Il y a peu de linge.  Aucun meuble « de menuiserie » n’est mentionné sinon un vieux lit démonté…  et la plupart auraient pu se trouver chez les paysans du hameau voisin. 
Surtout, la conclusion de l’opération paraît significative : Le recteur Jean Solanes, jésuite du lycée d’Auch, à la suite de l’inventaire qu’il a demandé, refuse le legs. Il est sûrement grevé de dettes, qui lui enlèvent beaucoup d’intérêt….
C’est donc de pauvreté qu’il s’agit, mais la situation n’est pas très différente de celle du château de Castelmore voisin, et sans doute de celle de nombreux petits seigneurs de la région au début du XVII° siècle, après la catastrophe des guerres civiles, dites de religion.

Et après ? 

Un peu plus tard, le recteur du collège d’Auch, Jean Solanne, qui avait demandé cet inventaire, refuse l’héritage, sans doute, grevé de dettes et trop lourd financièrement… 

Finalement le château échut à la sœur du défunt : Alix, qui y semble très attachée, car, bientôt, malgré les difficultés financières, elle tient tête à son mari, refusant de vendre son héritage ! Ce n’est que deux ans après, contrainte et forcée qu’elle met le château en vente en 1617.

Il faudra attendre quatre ans pour trouver un acheteur en 1621. C’est un voisin, seigneur du petit château du Busca qui se porte acquéreur. Mais on change d’époque : Jean de Maniban est seigneur du Busca voisin, mais surtout, fils de marchand de Cazaubon enrichi peut-être grâce aux troubles des guerres récentes, il est devenu magistrat au parlement de Bordeaux puis à celui de Toulouse. Il est le symbole de la nouvelle noblesse dans la région : résidence en grande ville avec un fonction prestigieuse et rémunératrice, et nombreuses possessions à la campagne qui sont valorisées par des locations successives (mises en affermes) et ne servent plus que d’une source de revenu comme une autre.

Le château a été « affermé » à divers grands bourgeois du voisinage, pour ne plus être habité à partir de la deuxième moitié du XVIIIème siècle et bientôt se trouver ruiné, et devenir, pour les impôts, « masure » inhabitable (cadastre de 1816).


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