Etude d’histoire et d’archéologie monumentale
Si l’on met d’emblée de côté la popularité du nom, sans rapport avec l’histoire du site, et qu’on fait le point sur la notoriété du château de Lagardère dans la littérature scientifique, on doit noter que c’est exclusivement par son appartenance au type du château gascon qu’il a intéressé les auteurs spécialisés du XIXème siècle à nos jours. Il en résulte, d’un auteur à l’autre, une attention concentrée sur les caractères architecturaux d’origine et sur les sources textuelles médiévales donnant l’âge de l’édifice, ce au détriment de la chronologie longue.
La contribution monographique majeure reste celle de Philippe Lauzun, inventeur du concept de château gascon, mais aussi féru d’histoire des lignages seigneuriaux de Gascogne, possesseurs et maîtres d’ouvrages de châteaux. Son étude sur Lagardère, outre une description fouillée, exploitait de manière optimale les sources de l’histoire de la seigneurie, de ses mutations et de son rôle dans le paysage féodal gascon. Elle laisse cependant dans l’ombre la vie du château dans les dernières phases de son histoire, du XVIIème au XIXème siècle, et n’apprend rien sur la date d’abandon définitif du bâtiment comme lieu habité, qui aboutit à l’état de ruine actuel.
La reconstitution de cette histoire post-médiévale du château aurait demandé, faute de sources inventoriées ou repérées immédiatement disponibles dans les fonds publics, un travail de recherche approfondi dépassant le cadre limité de la présente étude. Sans combler véritablement cette lacune, l’analyse objective d’archéologie monumentale permettra cependant de proposer une chronologie relative des constructions et remaniements de l’édifice jusqu’à son abandon, et, par là, de mieux cerner les caractères de ses états successifs et de son état initial.
Fait exceptionnel pour un « château gascon », un texte original donne en quelque sorte l’acte de naissance du château de Lagardère. Comme l’a écrit Jacques Gardelles dans sa thèse sur les châteaux en Gascogne Anglaise de 1216 en 1327, le château de Lagardère est « précieux parce que daté, avec assez de précision » (1), ce qui renforce son caractère de jalon représentatif pour le type architectural auquel il appartient. Les deux textes donnant les circonstances de la construction du château confirment que comme dans le cas de la plupart des châteaux gascons, Lagardère est une fondation ex nihilo.
Le premier texte, datant du début de l’année (avant l’épiphanie) 1270, est l’acte de donation par le comte d’Armagnac Géraud V, à Auger, abbé de Condom, et à ses religieux, de tout le territoire qu’il possédait « au lieu dit La Gardère, dans la paroisse de Saint-Laurent et de Saint Martin dudit lieu, en Fezensac » (2). Les termes de l’acte stipulent que l’abbé en titre ou ses successeurs « peuvent construire, édifier et faire construire un ouvrage fortifié, forteresse, et tout autre édifice, y compris une bastide… sur le lieu et territoire appelé La Gardère » (3) , objet de la donation. Le comte réserve pour lui et ses successeurs, le droit de faire occuper l’ouvrage fortifié à construire par ses hommes lorsque les circonstances le justifieront. On se trouve donc en présence d’un acte de cession, non sans contrepartie (les bénéficiaires doivent au comte 12 sols morlas annuels), mais fortement incitatif pour ce qui est de la construction d’une fortification. En d’autre termes, le comte choisit un site bien exposé de son territoire, en l’occurence un point haut offrant des vues dégagées, propice à la construction d’une maison-forte, et en cède la possession à un seigneur ecclésiastique en l’invitant à prendre en charge la fondation de cet ouvrage à vocation partiellement défensive, sans doute dans la perspective de faire de cette fondation un possible point d’appui stratégique de sa propre. La fondation du politique territoriale, sans investir personnellement dans cette construction. La fondation du château de Lagardère était donc bien implicitement la condition de ce « contrat » passé avec les religieux de Condom, assez comparable dans le principe à un contrat de paréage, formule utilisée pour la fondation des bastides (alternative évoquée dans l’acte) liant un possesseur de terres à un aménageur politique de rang royal ou comtal.
On ne retient plus aujourd’hui la thèse schématique défendue autrefois par Philippe Lauzun, selon laquelle les châteaux gascons auraient constitué les maillons de deux lignes de défense concertées au nom des intérêts des deux puissances publiques antagonistes capétienne ou Plantagenêt. Les travaux de Jacques Gardelles et, plus récemment, de Gilles Séraphin, ont réfuté cette vision peu fondée et réductrice en soulignant la part majeure du programme résidentiel dans la conception de ces petits châteaux, simples maisons fortifiées sans cour ni basse-cour, et leur statut de lieux seigneuriaux non voués au service de la puissance suzeraine. On peut aujourd’hui dire qu’au même titre que les bastides dotées de fortifications, la plupart des châteaux gascons furent fondés sur des sites vierges entre les années 1270 et les années 1330 par des maîtres d’ouvrages émancipés de la tutelle comtale ou royale (4), mais constituaient une armature défensive éventuellement utilisable par les agents de la puissance publique en cas de conflit. Les caractères communs des châteaux gascons, qui ne sont pas de véritables castra au sens juridique du terme, tiennent en partie au moins à ce contexte historique et chronologique bien délimité, à des ambitions bâtisseuses assez modestes, communes à l’ensemble des maîtres d’ouvrages, tendant à mettre en oeuvre en temps limité un programme mixte (résidence/défense) achevé et rationnel.
Le cas de Lagardère est donc d’autant plus intéressant que les textes laissent transparaître à l’arrière plan de l’intérêt particulier d’un seigneur (en l’occurrence ecclésiastique) bâtissant une maison-forte sur un site franchement acquis, celui du donateur de rang comtal peu ou prou bénéficiaire de cette politique de construction. On ne peut suivre pour autant l’hypothèse de Philippe Lauzun faisant de la maison-forte édifiée après cette cession une fortification planifiée pour le service du roi de France, via le comte d’Armagnac, contre les Plantagenêts, qui sont dès lors suzerains du comte, et maîtres de l’Agenais, suzerains directs des moines de Condom en 1279.
A cette dernière date, la maison-forte était soit édifiée, soit en cours de construction. Une pièce non datée mais certainement de cette époque, mentionne les constructions en pierre entreprises en Fezensac, sur le territoire cédé par le comte, par le cellérier de l’abbaye de Condom Guilhem de Nérac- soit un moulin sur la Baïse, deux maisons dans la paroisse de Saint-Martin et le château de La Gardère (Castrum de Garderia) (5).
A l’occasion de l’érection de Condom en diocèse, en 1317, l’abbé en devint le premier évêque, et se posa la question du partage du temporel entre l’abbé promu et son chapitre de chanoines réguliers. La possession du domaine et du château de La Gardère échut alors, non sans difficultés, au chapitre, qui l’affermera par la suite.
La carence des sources d’archives ne permet pas de définir plus précisément l’utilisation du château par les chanoines de Condom jusqu’au XVIe siècle, mais tout porte à croire avec Jacques Gardelles, qu’il fonctionna davantage comme « centre bien protégé d’un domaine rural » que comme forteresse. Les sources narratives ou diplomatiques de la guerre de Cent Ans ne font nullement mention de cette maison-forte et d’un quelconque épisode militaire dont elle aurait pu être l’instrument ou l’enjeu.
Semblable par son programme aux autres châteaux gascons chefs-lieux de fief servant d’habitation principale à de petits seigneurs laïcs, la maison-forte de Lagardère fut clairement conçue comme une résidence aristocratique au moins occasionnelle. Les textes post-médiévaux la qualifient le plus souvent de Salle ou « Salle noble », terme générique couramment employé à partir du XVe siècle, dans le sens du terme plus ancien d’ostal (6), désignant une maison noble en un seul corps dans laquelle le programme civil et résidentiel prédomine.
Le château ou salle de Lagardère était-il destiné par ses bâtisseurs à servir de maison de campagne à l’abbé lui-même ? Rien ne le prouve. Il est probable, s’agissant d’un chef-lieu d’exploitation foncière, qu’un membre de la communauté des religieux plus particulièrement en charge du temporel, comme précisément le cellérier Guilhem de Nérac qui dirigea la construction des bâtiments d’exploitation et du château de ce domaine, pouvait vivre au moins à temps partiel dans cette maison fortifiée intégrant des espaces de stockage.
Qu’en fut-il après l’abandon du faire-valoir direct, intervenu à une date d’ailleurs mal définie ? Les religieux se réservèrent-ils la jouissance de la maison, la laissant éventuellement inoccupée, mais utilisant ses caves et greniers ? Autorisèrent-ils les titulaires des baux à ferme à y résider ? On ne saurait apporter des réponses documentées à ces interrogations – Là encore, c’est l’archéologie monumentale qui suggère, comme on le verra, une mutation dans l’utilisation de la maison-forte à une période qui ne parait pas antérieure au XVIe siècle. Cette mutation dans l’aménagement intérieur suggère un renouveau de l’utilisation résidentielle, adapté à des besoins équivalents à ceux d’une famille de petits seigneurs ou de fermiers. Ainsi doit-on réfuter là encore les idées formulées par Lauzun, selon lesquelles le château de Lagardère « ne présentant … a ses possesseurs aucun attrait qui put les y attirer… en dehors de sa mission militaire, était destiné à rester inhabité et à ne recevoir, par suite, dans ses divers aménagements, aucune de ces modifications architecturales apportées par les exigences ou les modes des siècles suivants » (7)
Le 14 mai 1521, « les religieux du chapitre de l’église cathédrale de Condom, rendent hommage … de la salle de La Gardère, ses appartenances et dépendances, tenues de Charles, duc d’Alençon, comte d’Armagnac. » Cet hommage féodal avait été négligé auparavant par les religieux, ce qui avait entraîné la saisie de leur domaine par le suzerain, l’acte de 1521 leur assurant mainlevée de cette saisies.(8)
En 1546, la sécularisation du chapitre de Condom entraîne à nouveau des tractations avec l’évêque sur la répartition des biens temporels de l’église de Condom, comme lors de l’érection de l’évêché en 1317. Dans un premier temps, le prieur claustral du chapitre, Bernard de Ferrabouc, cède à l’évêque Charles de Pisseleu, par les clauses du traité de sécularisation daté de Rambouillet, le domaine de Charrin. Puis, un nouveau traité passé à Condom le 15 juin 1549 annule le précédent et subsitue au domaine de Charrin celui de La Gardère, au diocèse d’Auch et vicomté de Fezensac, dont la maison, les terres, prés, dîmes, haute et basse justice, passent donc à l’évêque de Condom. Toutefois, soit que le traité fut caduc, soit qu’il fut à nouveau dénoncé, le chapitre recouvra par la suite la possession du domaine de La Gardère.
Après le traumatisme causé à Condom à la fin de l’année 1569 par les destructions des troupes huguenotes de Montgomery, l’effort de reconstruction imposa au chapitre des choix drastiques. Si les chanoines voulaient se donner les moyens de reconstruire leurs maisons et restaurer leurs biens pillés et dévastés, il fallait consentir à la vente de certains autres biens. C’est dans ces circonstances que le chapitre de Condom décida en 1571 d’aliéner le domaine de La Gardère en sa possession depuis trois siècles, et en demanda l’autorisation au roi.
Par lettres-patentes du 17 juillet 1571 datée de Fontainebleau, Charles IX permet aux chanoines et chapitre de l’eglise cathédrale dudit Condom … de vendre… une leur maison et lieu appelée La Gardère, ses appartenances et dépendances, qui est assise en la sénéchaussée d’armaignac, et fort lointaine dudit Condom, qui par ce moyen est la moins commode pièce d’icelles qui appartiennent audit chapitre… au plus offrant et dernier encherisseur, pour les deniers qui en proviendrons être emploiés à la réédification des maisons dudit chapitre que ont été démolies comme dit est, et non ailleurs, ne en autres effets… » (9).
Sept ans plus tard, les chanoines de Condom sont encore en possession de Lagardè,re, qu’apparemment ils n’ont su vendre. Ils ne parviennent alors à s’en défaire qu’en procédant à un compromis, une partie seulement de la valeur estimée étant vendue à prix d’argent, 1142 écus 2 tiers, 4 sols 6 deniers, le reste faisant l’objet d’un échange avec des terres moins éloignées. Le chapitre abandonnait ainsi les terre, château et seigneurie de Lagardère à un seigneur laïc, sans soulever la question de la dîme inaliénable, l’acte de cession passé le 28 mai 1578 devant M° Laffargue, notaire à Condom, précisant qu’ils cédaient « la maison noble de La Gardère, avec toute sa justice, droits et appartenances, ainsi que la métairie, sans rien se réserver de la dite terre et seigneurie… » (10).
L’acquéreur, Pierre de Lavardac jouit de 1578 à sa mort en 1594 de tous les droits seigneuriaux de sa terre de Lagardère, et en perçut la dîme, ce qui devait occasionner au début du XVIIème siècle une lourde procédure entre son fils Arnaud de Lavardac et le chapitre de Condom. Cette procédure aboutit à une transaction passée le 18 mars 1609 devant Lartigue, notaire royal, aux termes de laquelle « Le sieur de Lavardac cède ladite dîme sur la terre de La Gardère au chapitre de Condom avec la somme de 600 livres pour l’indue jouissance et la restitution des fruits, mais demeure néanmoins seul et unique propriétaire et seigneur dudit fief ». (11)
Les Lavardac, qui s’intitulent seigneurs de Lian, n’avaient qu’une faible assise territoriale. Il est probable qu’après l’achat de Lagardère, cette seigneurie devint leur principal domaine et qu’ils élirent domicile au château ou « maison noble » de ce lieu. Arnaud de Lavardac, agissant en maître des lieux présent et actif, s’était accordé avec les consuls locaux dès 1595 pour faire réviser le cadastre de la communauté par un maître arpenteur, Jean Laffargue, de Francescas. N’ayant pas d’enfant légitime, Arnaud de Lavardac avait testé quelques jours avant sa mort, le 9 septembre 1615, en faveur des pères jésuites du collège d’Auch, auxquels il donnait sa terre de La Gardère. Les jésuites déclarèrent accepter l’héritage sous bénéfice d’inventaire, recueillirent l’engagement d’Alix de Lavardac, soeur du défunt, et de son époux Jean-Pierre de Caulet, de ne pas s’y opposer, et procédèrent à l’inventaire des biens du seigneur de La Gardère dès le 12 septembre. Les biens fonciers de la seigneurie furent aussitôt affermés pour partie à Jean de Caulet, sieur de Lian, probablement le fils d’Alix de Lavardac, qui avait apporté le fief et la « salle » de Lian en dot à son époux.
Quoiqu’il en soit, la dame de Lavardac parvint dès l’année suivante à désintéresser les Jésuites d’Auch de la possession de Lagardère, sans doute aux prix d’un endettement apparemment sévèrement désapprouvé par son mari. C’est au moins ce qui ressort d’une déclaration déposée devant le notaire Dayrem, par laquelle, le 3 décembre 1616, dans la salle noble de La Gardère, demoiselle Ailys de Lavardac, femme de noble Jean-Pierre de Caulet, déclare que, sollicitée par son mari de vendre les droits qu’elle possède sur la maison, terre et seigneurie de La Gardère, soit par décès de son frère Arnaud, soit par décès de ses père et mère, elle se refuse à ce faire, et à ceste fin elle va trouver noble de Pustolle, seigneur de Fieul x, au château de Podenas, son parent, à qui elle maintient son dire que la vente ne s’opérera pas, malgré les mauvaux traitements de son époux, M. de Caulet, qui la demande, et qu’elle ne cédera qu’a la violence » (12).
En Avril 1617, Alix de Lavardac se résigna cependant à mettre en vente l’héritage obéré d’Arnaud de Lavardac. La maison-forte de Lagardère resta occupée et utilisée par la famille de Lavardac, qui y parait décidément très attachée jusqu’à ce que le domaine trouve acquéreur : c’est encore dans la « salle » de La Gardère qu’est établi en date du 30 octobre 1617, le contrat de mariage entre demoiselle Louise de Lavardac et Blaise de Grisonis, seigneur de Pimbat, homme d’armes de la compagnie du maréchal de Roquelaure.
Jean de Maniban, ancien maître des requêtes au parlement de Bordeaux, propriétaire du proche domaine du Busca, se porta acquéreur en 1621 de la terre de Lagardère, mais, ayant du emprunter à un autre chevalier gascon, Philippe de Pins, seigneur d’Aulagnières, la somme de 3200 livres correspondant à cet achat, il abandonna à ce dernier la jouissance de son acquisition jusqu’au solde de la dette. Par cette curieuse procédure, Philippe de Pins fut seigneur de La Gardère de 1621 à 1630, période durant laquelle il séjourne occasionnellement au « château », où il passe notamment un acte notarié le 18 juin 1629. Peu avant, un vol commis la nuit au château de Lagardère avait fait l’objet d’une déposition de Philippe de Pins et de Jean Lannelongue au conseil de la sénéchaussée, dont le procès verbal ne livre malheureusement aucune information sur l’état des lieux et la distribution de la demeure, apparemment close, meublée mais le plus souvent inoccupée (13). Lorsque Thomas de Maniban solde enfin la dette de son père et prend possession du domaine de La Gardère, par acte notarié passé devant M°Bartharez le 28 juin 1630, il apparaît que la maison-forte n’a guère fait l’objet de travaux d’entretien depuis plusieurs années. Les termes de l’acte précisent en effet que « Monsieur de Maliban proteste en même temps contre les ruynes et détériorations de toutes sortes qui se trouvent au château et domaine de La Gardère. » (14)
A compter de cette date et jusqu’à la fin de l’Ancien Régime, les Maniban séjournant dans leur domaine du Busca, au château somptueusement reconstruit par Thomas avant 1649, conservèrent apparemment à l’abri de la ruine la maison-forte de La Gardère tout en la rétrogradant au rang de bâtiment d’exploitation domaniale, probablement utilisé comme logement de fermier, mais aussi sans doute comme cellier et grenier.
Dans ses écrits sur les châteaux gascons, empreints de nombreux a priori, Philippe Lauzun veut faire de Lagardère le type le mieux conservé de cette famille architecturale de maisons-fortes médiévales qu’il s’est employé à mettre en évidence.
Citons les arguments qu’il répète: « celui qui, par son état actuel, fait le mieux comprendre l’idée première qui a présidé à son élévation. Rien, en effet, depuis six cent ans, n’est venu détruire, ni même modifier, ses dispositions primitives… Il permet de saisir sur le vif le but que s’était proposé son architecte… En cette ruine imposante, que rien n’est venu modifier, se révèle dans toute son originalité et sa véritable grandeur le génie gascon du XIIIème siècle… » Si ces arguments enthousiastes, idéologie régionaliste mise à part, peuvent assez justement s’appliquer au cas du château de Sainte-Mère, ils ne conviennent guère en revanche à celui de Lagardère, et trahissent un certain aveuglement de la part de l’historien agenais trop préoccupé, par cet unique exemple daté, à étayer la thèse qu’il « ne cesse de soutenir… au sujet de la création et du mode d’emploi de ces intéressantes forteresses gasconnes » selon ses propres termes. (15)
En réalité, le château de Lagardère est un édifice assez profondément remanié. Paradoxalement, Philippe Lauzun, se contredisant quelque peu, admettait le caractère d’adjonction de certains éléments, comme la grande porte murée de l’est et certaines ouvertures qu’il assimile à tort à des meurtrières pour l’arme à feu (16). Gêné dans sa vision préétablie de l’architecture militaire, par la position de la porte d’origine (ouest) en rez-de-chaussée, il va jusqu’à écrire, contre toute vraisemblance: « ne pourrait-on admettre que cette porte aurait été descendue postérieurement de quelque étage supérieur et appliquée là, plus tard, pour les besoins du service ? » (17)
Les remaniements subis par la maison-forte paraissent relever d’au moins deux campagnes de travaux, dont aucune ne serait antérieure au XVIème siècle. Ces remaniements se caractérisent par une qualité de mise en oeuvre assez inégale, mais généralement inférieure à celle du parti d’origine. Ils ont surtout affecté la distribution intérieure du logis, mais, contrairement au cas des château du Tauzia ou de Mansencôme, il n’ont pas entraîné le percement systématique de nouvelles fenêtres à meneaux en remplacement de celles de la construction d’origine, d’où l’impression trompeuse d’un état proche de celui de la fin du XIIIème siècle dans les élévations extérieures de l’état ruiné actuel.
Le fait que ce premier état médiéval ait été conservé sans transformation jusqu’au XVIe siècle invite à anticiper un peu schématiquement sur les conclusions de l’analyse d’archéologie monumentale en distinguant deux grandes étapes dans l’histoire architecturale du château de Lagardère. Une première étape correspondrait au programme de la construction initiale élaboré ex nihilo, comme à Sainte-Mère, pour un seigneur ecclésiastique, en l’occurence, l’abbé de Condom ou son cellérier. On peut supposer que l’un ou l’autre résidèrent dans cette maison forte au moins temporairement jusqu’au premier quart du XlVème siècle, ce qui n’était peut-être plus le cas par la suite.
Ce programme d’origine n’aurait eu alors de raisons de subir d’importants remaniements qu’à partir de 1578, pour répondre aux besoins du seigneur laïc -le sieur de Lavardac- qui s’en porte alors acquéreur et en fait apparemment sa résidence principale. Le contexte historique ne se prête guère à supposer la mise en oeuvre d’un remaniement de la maison-forte médiévale plus tôt dans le XVIème siècle : depuis 1570, les chanoines de Condom, n’ont d’autre souci que de se défaire de cette propriété pour financer leurs restaurations en ville. Entre 1549 et 1570, Lagardère était passé pendant un temps indéterminé -peut-être assez bref- dans le temporel de l’évêque de Condom, mais force est de constater que la nature des réaménagements dont la demeure a fait l’objet ne saurait correspondre à un programme de maison de campagne épiscopale de la Renaissance, et que les deux mutations de la propriété entre évêque et chapitre ne favorisent pas l’hypothèse d’un investissement de l’un ou de l’autre dans la modernisation de la maison-forte. Auparavant, les chanoines réguliers de Condom détiennent sans discontinuité ce domaine éloigné de leur base, et, faute de documents, on peut retenir, comme justification éventuelle d’une campagne de travaux dépassant le strict entretien en l’état de la maison médiévale de Lagardère, son adaptation aux besoins d’un fermier résidant. Cette circonstance ne peut être que conjecturale et ne suffit pas pour assigner à une partie des remaniements encore visibles aujourd’hui une date distincte et antérieure à celle des ouvrages plus sûrement attribuables au temps des guerres de Religion et à la prise de possession par la famille de Lavardac.
Malgré l’importance de ces refontes qui permirent à la maison-forte d’être habitée ou au moins utilisée jusqu’au XVIIIème siècle, les dispositions de l’état d’origine créé vers 1275 peuvent encore être reconstituées dans leur principe, non sans quelques inconnues que l’état avancé de la ruine laisse subsister.
L’édifice d’origine offre bien le caractère principal par lequel se définissent les « châteaux gascons » de la période 1270-1330, à savoir de prendre, la forme d’un logis ou ostal de volume simple quadrangulaire en plan, sans cour intérieure, accosté d’une ou deux tourelles de plan carré en saillie hors-oeuvre. Bien que constituant un bâtiment unique, autonome, directement exposé aux agressions possibles et à ce titre intégrant les organes de défense active que sont les archères, le château gascon était généralement accompagné d’une enceinte extérieure basse ou clôture parfois sommaire, rarement conservé, qu’il fallait franchir avant d’atteindre la porte du logis. Malgré son apparence actuelle d’édifice ostensiblement isolée, le logis de Lagardère ne faisait sans doute pas exception, et l’aire en déclivité située entre sa face d’entrée ouest et la chapelle médiévale voisine, était probablement fermée de murs abritant des bâtiments annexes. Ce côté du château domine la pente naturelle du terrain, ce qui le rend relativement moins vulnérable sur le plan défensif que le côté est, toutefois le manqué de défense propre de la porte et la moindre densité des archères sont de nature à confirmer l’existence passée d’une enceinte extérieure surtout développée à l’ouest.
L’originalité principale du « château gascon » de Lagardère, comparé au modèle orthodoxe illustré par Sainte-Mère, Le Tauzia ou Mansencôme, tient dans son développement en longueur intégrant une tour-maitresse (A). En effet, la » salle » (B) y est prolongée longitudinalement au sud par une travée courte (A) séparée par un mur de refend, Mais ce prolongement se distingue à la fois par sa plus forte épaisseur murale et par son élévation dominant d’un étage supplémentaire le reste du bâtiment. Il s’agit donc bien d’une tour intégrée, et non d’une simple subdivision de la salle. Les tourelles carrées élancées (C) qui, dans le type orthodoxe du château gascon, s’adossent au volume de la « salle » sont, à Lagardère, inhabituellement disposées aux deux angles du petit côté opposé à la tour intégrée, dont elles équilibrent le volume par leur élévation également dominante à l’origine.
Selon un caractère propre aux « châteaux gascons » l’ensemble comporte trois niveaux dont seul le troisième intègre des aménagements de confort résidentiels. On ne peut plus juger des aménagements d’origine du quatrième niveau de la partie « tour », du fait des remaniements importants qu’il a subi et de son état de ruine avancé. Dans les pays du sud-ouest hors Gascogne, la plupart des maisons-fortes disposent de locaux habitables percés de fenêtres dès le premier étage (souvent unique étage quand il ne s’agit pas de maisons-tour). Font exception certaines tours maîtresses de « granges » monastiques fortifiées, représentées en Rouergue par des exemples pour la plupart tardifs (deuxième moitié XIVème s, XVème siècle). Dans les châteaux gascons, les espaces destinés au stockage se répartissent donc sur les deux premiers niveaux, avec une forte probabilité d’affectation du niveau 1 à un cellier ou cave vinaire, et du niveau 2 à un grenier à grains dont le volume est aussi utilisable comme espace de refuge collectif. Ce niveau 2 est aussi l’étage privilégié pour la défense active, comme en atteste la répartition des meurtrières, souvent plus densément réparties à ce niveau. (18) Le château de Lagardère est conforme à cette logique d’organisation interne.
L’unique porte d’origine (Pa), simplement verrouillable par une barre coulissant au revers du vantail, relativement spacieuse (l m 30 de large pour 2m 40 de haut), donnait accès de plain-pied dans le cellier (B).
Ce vaste espace, haut d’environ 5m sous plafond, était éclairé de quatre fentes de jour et de ventilation (j) à ébrasement intérieur couvert d’un linteau à coussinets, réparties deux à deux dans les faces nord et est. Celles de l’est (jb) ont un appui horizontal dominant d’environ 2 m 50 le sol, tandis que l’appui de celles du nord (jc) plonge fortement en talus vers l’intérieur du cellier pour permettre à la lumière du jour d’atteindre le sol (19). Entre ces deux jours est aménagé un évier dans une petite niche proche du sol (e1), selon une disposition qu’on retrouve à l’identique sur un petit côté du cellier du château du Tauzia. La niche d’évier basse se retrouve dans le cellier d’autres châteaux gascons, comme Escalup ou Plieux, et pouvait servir à nettoyer bouteilles et récipients. Plus fréquentes encore sont les petites niches basses simples dont on trouve trois exemplaires (n) le long de la face ouest aveugle du cellier de Lagardère.
Contrairement à un cas assez répandu (Sainte-Mère, Escalup), le solivage portant les planchers des étages de la « salle » de Lagardère était de sens longitudinal, comme en attestent les corbeaux aux murs-pignon. Cela suppose au moins deux poutres transversales pour relayer les portées des solives sur l’ensemble du volume (B). Ces poutres, dont on ne trouve curieusement nulle trace d’ancrage aux murs latéraux, pouvaient elles-mêmes, être soulagées à mi-portée par un pilier maçonné, disposition dont on trouve des exemples conservés, notamment au logis en briques de Latour en Fezensaguet (20) . Le tiers sud (Bb) du cellier et au moins du premier étage paraît avoir été cloisonné du reste du volume (Ba) à l’origine par un mur maigre dont restent des traces d’ancrage très apparentes sur les parois latérales: les solives des plafonds pouvaient s’appuyer à cette cloison en dur qui remplaçait ainsi une poutre transversale. Seule une fouille permettrait de dire si cette cloison était fermée ou ouverte au niveau 1, ou s’il existait des piliers dans ce cellier.
Quoiqu’il en soit, il est possible que la travée (Bb 1) ait été cloisonnée de la sorte pour former vestibule de distribution générale du logis. Faute d’une seconde porte en étage, il est certain que la distribution verticale d’origine, dont ne reste aucune trace, s’amorçait au niveau 1; la logique voudrait qu’un escalier de bois ait fait suite à la porte (Pa) à l’intérieur de la travée (Bb).
Cette travée de vestibule desservait aussi le local aveugle du niveau 1 sous la tour (A 1 ), qui peut être assimilé, faute d’aménagements, à une cave-réserve, et n’avait sans doute aucun lien direct avec l’étage (A 2) situé au-dessus.
L’élévation des tourelles d’angle à ce niveau 1 (Ca-Cb 1), était complètement massive, sans doute pour leur donner plus de solidité et mieux contrebuter les angles, ces tourelles ayant sans doute une fonction annexe de contreforts du fait de leur implantation du côté où le terrain est en pente descendante.
De telles tourelles carrées élancées pleines sur 5 m d’élévation se retrouvent, par exemple, à l’enceinte du castrum de Larresingle.
Le niveau 2 reproduit la partition (A, Ba, Bb) observée au niveau 1. Les percements y sont plus nombreux et répartis sur toutes les faces. La partie « tour » (A2) a une meurtrière (a) au milieu de chacune de ses trois faces libres, tandisque la « salle » (B2), en a trois: deux à l’est, une au milieu du côté nord. Ces meurtrières dont la fente, assez courte parce que sans plongée, est recoupée d’une traverse formant une croix pattée (les branches sont évasées en « étrier »), sont disposées pour un archer debout. Elles ont un ébrasement intérieur simple (sans niche) et peu ouvert, et sont utilisables pour l’arc, mais paraissent plus spécialement adaptées à l’arbalète légère, par leur absence de plongée extérieure.
Du côté ouest, les deux embrasures (j2) à première vue assez semblables aux meurtrières (a) n’en diffèrent que par leur ouverture externe, jour rectangulaire encadré d’un large chanfrein et non fente de tir. Ces baies alternaient avec deux petites niches haut percées (n) couvertes en bâtière, sans doute destinées à abriter une lampe.
Les tourelles (C) abritent à ce niveaux de très petites chambres carrées accessibles depuis la « salle » par des couloirs biaisés. Il s’agit de chambres de tir, car elles n’ont d’autre aménagement d’origine que leurs arbalétrières (a) du même modèle cruciforme que celles du reste de l’édifice. Si la tourelle (Ca) n’en a plus qu’une au nord (il y en avait sans doute une autre sur la face est, entièrement reprise), l’autre (Cb) en dispose sur trois de ses faces, celle orientée au sud permettant un tir flanquant prenant en enfilade la porte du logis (Pa). Compte-tenu de l’exiguïté de la chambre de tir de cette tourelle, large d’environ l m 50 au carré, ces meurtrières ne pouvaient servir simultanément, et étaient d’une utilisation incommode: leur présence offrait d’emblée un caractère dissuasif.
Tout compris, ce niveau 2 ne comptait pas moins de 11 meurtrières. Un évier (e2) devait exister (comme au niveau 1) du petit côté nord de la salle, à en juger par la goulotte d’origine qui traverse le mur.
Le niveau 3 constitue l’étage noble, caractérisé par ses aménagements civils de confort, avec la « salle » proprement dite (B3),espace de vie et de réception. Le local attenant dans la tour (A3), de même largeur mais deux à trois fois moins long fait figure de chambre noble. Cette combinaison équilibrée salle/chambre, élémentaire dans l’économie de la plupart des résidences nobles médiévales dépassant l’échelle d’une simple tour-maison, est exceptionnelle dans les « châteaux gascons », la salle n’y bénéficiant généralement que d’annexes plus réduites contenues dans les tourelles adossées. Ainsi, par la présence de cette tour maîtresse intégrés complétant la salle et abritant une chambre, la maison-forte de Lagardère se rapproche-t’elle de modèles moins spécifiques, plus courants, de l’architecture seigneuriale. On notera aussi à quel point ce modèle est conforme aux aménagements des résidences de seigneurs laïcs, ce qui fait revenir sur ce problème: à qui est destinée cette résidence dans le contexte d’un domaine foncier abbatial ? A l’évidence, cet étage noble n’a rien de commun avec un dortoir de convers; il ne peut donc s’agir que d’une maison conçue en principe pour le seigneur, soit l’abbé de Condom, ou son représentant local, en l’occurrence le cellérier Guilhem de Nérac.
La chambre dans la tour (A 3) est équipée de deux fenêtres (fa) au sud et à l’ouest, aujourd’hui très ruinées. Celle de l’ouest est néanmoins aujourd’hui la plus complètement conservée de l’ensemble des fenêtres de l’étage, dont elle donne le type. Il s’agit d’une fenêtre géminée à niche peu ébrasée voûtée en berceau très surbaissée et munie de coussièges. Il reste assez du linteau (sans doute en deux morceaux ) pour voir qu’il était entaillé de deux lancettes surtrilobées selon un modèle dont on trouve un exemple bien conservé à une fenêtre d’origine du château voisin de Mansencôme (21). On ne saurait dire si les autres caractères de la fenêtre de Mansencôme (support médian formant colonnette à chapiteau et non meneau chanfreiné, appui simple sans moulures) étaient aussi communs à cette fenêtre de Lagardère, mais il est certain qu’elle était un peu plus ornée que celles (fb) de la face est de la salle, à lancette simple. La seconde fenêtre de la tour est trop ruinée pour être décrite, mais malgré l’absence actuelle des coussièges (arrachés), rien ne s’oppose à l’interpréter comme une baie d’origine du même modèle que les autres. L’équipement d’origine de la salle se complétait, dans la face est, d’une archère (a) du même modèle cruciforme que celles du niveau 2, et d’une latrine (la) débouchant en forme de logette en encorbellement près de l’angle. Cette logette saillante aux parois minces prenait appui sur des corbeaux non pas immédiatement sous le siège, mais sensiblement plus bas, en sorte qu’elle avait une hauteur totale de plus de 5m22. La chambre était dépourvue de cheminée à l’origine, le mur la séparant de la salle n’en portant pas trace de ce côté.
De la salle proprement dite ne reste en élévation hormis le mur commun à la tour, qu’une partie du mur est, le reste étant arasé au niveau de l’ancien plancher, soit du fait de remaniements (côté nord), soit par effondrement (la ruine du toit a peut-être renversé le mur ouest). Le mur est conserve des vestiges de ses deux fenêtres d’origine (fb), l’une d’elle, documentée par la photographie, était la mieux conservée de l’ensemble avant l’écroulement, vers 1910 de la portion de mur qui la séparait de la tourelle d’angle (Ca). Ces fenêtres sont du même modèle que celle de la tour (fa), excepté le fait, comme on l’a dit, que leur linteau était incisé de lancettes simples. Il est probable que des fenêtres semblables existaient dans les faces ouest et nord, moins vulnérables et mieux exposées pour les vues sur le paysage. Une grande cheminée (ch) dont la hotte pyramidale pouvait être en matériaux légers (plâtre sur lattis) portée sur des corbeaux de pierre, occupe le fond de la salle, dans le mur commun à la tour (A). Quand aux tourelles d’angle de la face nord, elles abritaient à ce niveau des chambrettes de plan carré (Ca-Cb3) dont l’usage et les aménagements d’origine sont oblitérés par les remaniements qui leur ont été apportés à l’époque post-médiévale, en vue notamment d’y installer un colombier. Ce qui est certain, c’est que la porte de chacune d’elles était associé avec l’accès des latrines (Ic-Ib) calées en encorbellement dans l’angle rentrant avec le mur-pignon nord. L’une de ces latrines (Ic) offre la même logette haute qu’à celle de la tour (Ia), reposant assez bas sur deux corbeaux engagés dans la tourelle. L’encorbellement de l’autre (Ib) porte plutôt sur le mur-pignon, et s’y ancre nettement plus haut, peu en dessous de l’emplacement du siège. La présence de ces deux latrines, alors même qu’à ce niveau, la tour intégrée (A) disposait d’une troisième, renforce les interrogations sur l’usage des chambrettes des tourelles, apparemment dépourvues de meurtrières à ce niveau (avec une marge d’incertitude due aux reprises de maçonneries). Peut-être la salle était-elle en partie organisée pour héberger occasionnellement du personnel, voire servir de refuge ? La question reste posée.
Comme on l’a vu, on ne peut plus rien dire de l’état médiéval, trop remanié, du niveau 4 de la tour (A), qui dominait la salle, du moins, tant qu’on ne peut accéder aux arases pour étudier plus complètement les vestiges.
Le niveau d’appui et pente des versants du toit qui couvrait la « salle » (B) peuvent être facilement reconstitués grâce au solin de pierre qui formait larmier juste au dessus de la couverture, encore très apparent sur le parement extérieur du mur nord de la tour (A). Ces éléments ne permettent pas d’imaginer qu’un chemin de ronde d’arase crénelé couronnait les murs de la salle. En effet, ces murs sont trop minces, le point d’appui de l’égout du toit ne laisse aucune place pour un élargissement, et aucun passage de communication n’était prévu entre cette arase et la chambre du niveau 4 de la tour (A), qui en aurait été le point d’accès privilégié.
En revanche, la tour (A) et les tourelles (C) avaient très vraisemblablement chacune dans leur état médiéval un couronnement crénelé couvert d’un toit, surplombant avantageusement le toit de la « salle » et concentrant l’appareil militaire des parties hautes.
Si la part des remaniements architecturaux a pu être identifiée assez complètement pour reconstituer pour l’essentiel l’état d’origine de la maison-forte, il est en revanche beaucoup plus difficile d’établir une chronologie des campagnes de remaniements proprement dites. En effet l’état de ruine très avancé du bâtiment a entraîné la disparition de la plupart des réaménagements de structure qui lui avaient été apportés depuis le XVIème siècle. Il n’en reste donc que les adjonctions de gros-oeuvre, constructions raccordées ou incorporées aux murs d’enveloppe, et quelques traces et arrachements aux murs. L’information pourrait très utilement être complétée par une fouille archéologique des remblais de démolition à l’intérieur de l’édifice, et en pied de murs à l’extérieur.
On ne peut donc ici proposer qu’une lecture globale de l’état remanié, comportant une part d’hypothèse finalement plus importante que pour l’état médiéval. La datation de ces remaniements ne peut être, de même, avancée qu’avec précaution.
La part la plus importante des restructurations a porté, à tous les niveaux, sur la partie « salle » (B), les trois premiers niveaux de la « tour » (A) en étant un peu moins affectés.
La recomposition interne des trois niveaux d’origine de la « salle » fut assez radicale. L’ancienne division (Ba-Bb) fut décalée par la suppression de l’ancien mur de cloisonnement et la construction d’un nouveau mur de refend plus épais (b) séparant l’espace intérieur en deux travées de volume à peu près équivalent, montant au moins jusqu’au sol du niveau 3. Ce mur de refend médian reçut l’extrémité des solives des nouveaux planchers, non plus sur des corbelets, mais dans des empochements. Le style des encadrements des portes palières en place dans ce mur de refend, avec arc de couvrement en anse de panier, et arrière voussure cintrée en pierre blanche ou en briques, pourrait aussi bien convenir au début du XVIe siècle qu’à une époque plus tardive.
On profita de la haute élévation de l’ancien cellier-cave (B 1-A l) pour le recouper en deux niveaux par un plancher intermédiaire, créant ainsi un entresol. Au rez-de-chaussée, la travée à laquelle donne accès la porte d’origine (Pa), était elle-même divisée en deux dans le sens de la profondeur par un cloisonnement transversal. D’abord un vestibule (Bd l) dont l’élévation restait celle du niveau 1 d’origine, soit environ 5m sous plafond, puis, derrière le cloisonnement montant sur toute cette élévation, un local aveugle (Be 1), sans doute à usage de cave, sous le plancher intermédiaire, donc haut d’un peu plus de 2m sous plafond. Le vestibule (Bd l) donnait sans doute directement accès à cette petite cave. L’accès à la tour (A) reste inchangé, mais la cave (A 1), toujours aveugle, n’a plus elle aussi que 2m sous plafond. En vis à vis de la porte de cette cave, une autre porte dans le mur de refend (b) donnait accès au local (Bc 1), probablement toujours à usage de cellier, malgré sa surface et sa hauteur sous plafond désormais réduites de moitié. Du fait de leur appui plongeant, les jours (jc), recoupés par le plancher, restaient fonctionnels pour l’éclairage de ce cellier. Dans le mur de refend (b) est ménagé un curieux passage très étroit vers la cave (Be l), dont la fonction exacte resterait à définir, car il ne parait pas correspondre à une porte de communication. Entre ce passage et la porte d’accès au cellier, une arcade plus spacieuse (bc) à encadrement de briques, aujourd’hui murée, paraît devoir être identifiée à une armoire murale, car elle ne paraît pas, avoir jamais traversé le mur de refend.
Enfin, le vestibule (Bd 1) donnait peut-être accès par une volée droite d’escalier dans l’axe de la porte (Pa), au niveau de l’entresol de la partie cloisonnée, où s’amorçait une large cage d’escalier en charpente (Eb) qui a laissé des traces d’appui de ses montées dans l’angle rentrant des murs auxquelles elles s’adossait. Cette cage d’escalier de plan à peu près carré était éclairée par des soupiraux (h) sommairement repercés dans les murs médiévaux et pourvus de grilles.
Au niveau de l’entresol, la cage d’escalier (Eb) communiquait directement à la chambre dans la tour (A 1-2) par une porte repercée à cet effet dans le mur intermédiaire. Cette chambre dans la tour, haute de 2m sous plafond, fut pourvue de jours d’éclairages rudimentaires (h) de même facture que les soupiraux de l’escalier. Elle était vraisemblablement affectée à un grenier. La cage d’escalier était attenante, derrière la cloison (Be-Bd) à un petit vestibule (Be 1-2). Curieusement, ce vestibule a été relié à la salle (Bc 1-2) par deux portes palières apparemment en double emploi, mais ouvrant dans un sens différent. Ces deux portes paraissent avoir été ménagées dans le mur de refend dès sa construction, ce qui interdit depenser que l’une a pu remplacer l’autre (23).
La salle de l’entresol (Bc 1-2) était directement accessible du dehors, une nouvelle porte (Pb) , aujourd’hui murée, ayant été percée dans la face est de la maison-forte. Cette porte, aussi large que la porte d’origine (Pa) du rez-de-chaussée, s’en distingue par ce qu’elle était pourvue de défenses plus élaborées. Son seuil était surélevé d’environ 2m du sol extérieur d’origine, et précédé d’un petit avant-corps carré (pl). Cet avant-corps ne mérite pas l’appellation de « ravelin » que lui donne Philippe Lauzun. Il s’agit simplement d’une fosse fermée que recouvrait le tablier du pont-levis dont était équipée la porte, en position ouverte. Les corbeaux à encoche qui portaient l’axe de rotation du tablier sont encore en place. Ainsi, une courte rampe (ou un escalier) à ciel ouvert permettait-elle d’accéder au niveau du seuil de la porte, et de monter sur le tablier du pont-levis pour entrer de plain-pied dans la salle (Bc 1-2). Lorsque le pont-levis était relevé, le tablier s’insérait dans un tableau rectangulaire en creux ménagé dans la façade autour de la porte, et la fosse contenue dans l’avant-corps (pl) constituait un obstacle empêchant d’aborder la porte pour tenter de la forcer.
Le levage du tablier s’effectuait de l’intérieur de la salle, à l’aide d’une corde passant par un petit trou ménagé à la clef de l’arc de la porte, dans le tableau en creux, coulant sans doute sur la gorge d’une poulie (pour limiter l’usure), avant de s’enrouler sur un treuil installé dans la salle. Le logement de la poulie était en même temps un soupirail dont on voit l’ouverture aujourd’hui bouchée immédiatement au dessus de la porte. Cette entrée fortifiée (Pb) donnant accès dans un entresol de seulement 2m de haut sous plafond n’était évidemment que piétonne, mais avait une largeur suffisante pour faire entrer des chargements de caisses ou de sacs. On peut se demander si elle était devenue la porte principale de la maison-forte, ou s’il s’agissait d’une sorte de poterne. Pour répondre à cette question, il faudrait savoir si la porte d’origine (Pa) était ou non reliée à l’escalier (Eb) commençant à l’entresol. Si ce lien n’existait pas, la porte (Pa) ne donnait plus accès qu’aux caves et cellier, en complète indépendance de la desserte de l’entresol et des étages, assurée exclusivement en passant par la porte à pont-levis. Dans ce cas, cette dernière peut être considérée comme la porte principale. Si, au contraire, ce qui parait le plus probable, une volée d’escalier dans le vestibule (Bd 1) reliait le rez-de-chaussée à l’entresol, donc aux étages, la porte (Pb) avait une fonction de poterne fortifiée permettant des entrées et sorties directes vers la campagne, donc sans passer par la basse-cour, en période d’insécurité. L’arcade plein-cintre de cette porte, non chanfreinée, offre une clef et des sommiers en saillie sur l’intrados, ce qui est un caractère architectonique non antérieur au dernier tiers du XVIe siècle.
Il faut donc logiquement mettre en relation la création de cette poterne avec le contexte des Guerres de Religion, qui voient fleurir une nouvelle génération de défenses dans l’architecture des châteaux, et l’attribuer aux Lavardac, entre 1578 et 1609 environ. Cet aménagement pourrait être postérieur à la redistribution intérieure de la « salle » (B), donc à la création de l’entresol et du mur de refend (b) . Mais il paraît plus vraisemblable, pour des raisons déjà mentionnées, de mettre au crédit des Lavardac l’ensemble de ces réaménagements: mur de refend, entresol, poterne, qui obéissent à une logique de distribution homogène. La salle de l’entresol (Bc 1-2) sans doute utilisée en partie comme grenier, bénéficiait de l’éclairement fourni par les trois fentes de jour d’origine (jb, jc) complété par un nouveau jour en soupirail (h) percé dans le mur ouest. Ce dernier jour était recoupé par une volée droite d’escalier en bois, qui permettait une communication directe de la salle (Bc 1-2) à la pièce (Bd 2) située au premier étage. Cet escalier dont ne reste que l’empreinte au mur était vraisemblablement postérieur au gros des réaménagements, donc à la cage d’escalier (Eb). On doit pouvoir le dater du XVIIe ou du XVIIIème siècle. De cette génération postérieure daterait peut-être aussi le sur-creusement intérieur de la tourelle (Cb) destiné à y aménager à ce niveau d’entresol un petit local. Il est possible qu’un vide existait déjà sous le sol de la chambrette d’étage (Cb2) de cette tourelle, car il paraît surprenant qu’on se soit donné la peine de dégager au pic ce petit local (C b 1-2) dans une masse de maçonnerie pleine. Toujours est-il que ce travail paraît trop fruste pour être associé à la campagne de travaux des Lavardac, qu’auraient au moins fait aménager un encadrement de porte au lieu de laisser le couloir d’accès à l’état de percement brut aux parois irrégulières.
L’escalier (Eb) desservait le premier étage (niveau 2), où étaient reproduites les mêmes subdivisions qu’à l’entresol. Même accès direct de l’escalier à la chambre de la tour (A 2) laissée dans son état médiéval, même communication à la salle principale (Bc2) par l’intermédiaire d’un vestibule (Be 2) éclairé d un soupirail repercé (h). Les trois pièces de l’étage (A 2-Bd 2-Bc 2) communiquaient entre elles indépendamment de l’escalier et du vestibule, par des portes ménagées dans les murs de refend. Curieusement, entre la chambre de la tour (A 2) et la pièce (Bd 2), la porte existant d’origine a été remplacée par une nouvelle porte percée juste à côté, ce qui ne peut guère s’expliquer que par l’intention de donner à l’ancienne porte un autre usage (armoire murale ?), à moins d’imaginer que la nouvelle porte n’ait été percée que dans une seconde campagne de remaniement, à côté de l’ancienne maintenue en fonction, pour créer dans le volume de la pièce (Bd 2) un corridor longeant le mur qui aurait relié directement l’escalier secondaire partant de la salle d entresol (Bc 1-2) à la chambre de la tour (A2), indépendamment de la desserte de la pièce. Cette disposition compliquée aurait fait perdre à la pièce (Bd 2) le bénéfice de l’éclairement direct par le jour d’origine (j2) et l’accès a un placard mural (pl) creusé à côté d’une ancienne niche à lampe (et devenu aujourd’hui une vaste brèche).
La salle principale de l’étage (Bc 2) paraît avoir été aménagée en boulangerie, sinon en cuisine. En effet, elle a été équipée de deux fours de dimensions différentes, l’un d’eux étant à coup sûr un four à pain. L’avaloir de ces fours ouvrait dans le mur de fond (nord) de la salle. Il est possible qu’au dessus ait été en même temps aménagée une hotte de cheminée qui aurait permis de cuisiner à feu ouvert, mais rien ne le prouve dans l’état de délabrement actuel du parement, et l’absence de jambages, de traces de suie ou de revêtement en tuileau sur ce qui en reste tendrait à démontrer le contraire.
Le grand four (g), incorporé dans l’axe du mur en détruisant une ancienne archère, était pour moitié en encorbellement extérieur. Il ne reposait pas sur des consoles de pierre, mais sur quatre fortes pièces de bois de section carrée profondément engagées dans le mur. Le petit four (g’) est entièrement logé dans l’épaisseur du mur. A proximité de ces fours, de part et d’autre du couloir d’accès à la chambre de la tourelle (Cb2) avaient été creusés deux vastes placards ou armoires murales (pl). Celui du mur-pignon occupe l’emplacement d’un ancien évier, tandis d’une baie est percée au fond du second, qui recoupe une ancienne niche à lampe. Il est possible que la baie ait existé avant le placard, qui l’aurait alors condamnée. Cette baie étant elle-même un repercement postmédiéval, on peut proposer une chronologie plaçant le percement de cette baie de jour dans la logique des aménagements du dernier quart du XVIème siècle pour les Lavardac, et sa transformation en placard à une date ultérieure, peut-être contemporaine de l’escalier secondaire traversant le mur de refend (b) du côté ouest, qui se retrouvait entre la salle (Bc 2) et le niveau 3. Ces vastes placards étaient-ils liés à la boulangerie ? C’est plausible.
On pourrait, dans ce cas dater l’aménagement des fours de la seconde campagne de remaniements, donc courant XVIIe siècle au plus tôt. La chambre de défense de la tourelle (Cb 2) ne parait pas avoir subi de modification notable, alors que celle de l’autre tourelle (Ca 2) est aménagée dès ce niveau en colombier, par l’intégration de boulins carrés en pierre. Cet aménagement parait postérieur lui aussi aux premières refontes du temps des Guerres de Religion, car il est incompatible a priori avec le maintien de la fonction défensive de cette chambrette. Or, une meurtrière flanquante pour l’arquebuse (t) a précisément été percée à cette époque troublée dans la paroi sud de cette tourelle, qui ne comportait pas d’archère à l’origine, pour contrôler et défendre la nouvelle porte à pont-levis (Pb) par un tir légèrement plongeant.
Au niveau 3, l’ancienne « salle noble » (B 3) ne paraît pas avoir été profondément remaniée au temps des Lavardac. Cependant, bien que le le mur de refend (b) n’atteigne pas cet étage dans son état actuel, il est très probable qu’il y ait été prolongé, au moins sous forme d’une cloison. En effet, on constate dans le seul mur restant, que l’éclairement donné par les deux fenêtres géminées d’origine a été complété par la percée de deux baies supplémentaires, ce qui permettait à chacune des pièces de part et d’autre du mur de refend de bénéficier de deux prises de jour à l’est. La petite baie (h), haut percée, est du même type que les jours et soupiraux des niveaux inférieurs. L’autre (fc), dans la moitié nord de la salle, était une véritable fenêtre en demi-croisée à traverse de pierre, jumelée avec une autre symétrique percée en retour dans la paroi sud de la tourelle (Ca 3). Cette double fenêtre n’est connue que par les photographies antérieures à 1910, mais l’encadrement en pierre à traverse y est suffisamment lisible pour qu’on puisse proposer d’attribuer cet aménagement à la première campagne de réaménagement du dernier quart du XVIème siècle. La présence de cette fenêtre dans la tourelle confirme que l’aménagement de celle-ci en colombier ne peut être que postérieur.
Avant cela, la chambre de la tourelle était sans doute ce qu’on appelait alors un « cabinet » ou une « étude ». On peut supposer que la travée occupant la moitié nord de la salle (B), était la partie la plus « noble », puisqu’elle bénéficiait de l’appoint des chambrettes des deux tourelles (avec leurs latrines) et n’était pas encombrée par le débouché de l’escalier (Eb), mais on ne peut rien dire de plus des autres équipements de ces travées, concernant notamment une éventuelle seconde cheminée. Il paraît cependant évident que le mur-pignon de la « salle » a été arasé volontairement au sol de cet étage avant la ruine de la maison-forte, tant cet arasement est net et proprement arrêté verticalement aux raz des tourelles. L’une d’elles (Cb 3) a, du reste, été très retouchée à cette occasion sur sa face intérieure, et les flancs des deux portent trace de profondes saignées horizontales. On peut dès lors formuler l’hypothèse suivante: une campagne de remaniement aura arasé ce mur-pignon médiéval pour rallonger la salle vers le nord jusqu’à l’alignement de la saillie des deux tourelles (Ca-Cb). Cette augmentation de surface portait alors en balcon entre ces deux tourelles, et devait prendre la forme d’une structure à colombages, comme il en existe divers exemples en Gascogne, en l’occurrence couverte par un pan du toit prolongé d’autant. Il faut alors mettre en relation, et sans doute en phase, cette adjonction avec la création du four en encorbellement (g) à l’étage inférieur, les deux aménagements procédant d’une même logique constructive. Le fait d’avoir fait porter la forte saillie du four sur des pièces de bois, matériau périssable, s’explique mieux si l’on accepte que le fort débord de la salle le protégeait entièrement des intempéries.
Ces adjonctions créant sur le mur-pignon des structures à pans de bois assez vulnérables ne sauraient de ce fait être attribuées au temps des Guerres de Religion. Un tel parti paraît en effet peu compatible avec la logique défensive dont témoigne la porte à pont-levis (Pb). On peut donc proposer de dater ce remaniement entre le milieu du XVIIème siècle et le cours du XVIIIème siècle. Peut-être correspond-il à une nouvelle subdivision de la salle en trois travées, qui en aurait accru la capacité locative. Le réaménagement de la tourelle (Ca) en colombier, l’arasement de son couronnement défensif remplacé par un toit pyramidal encore en place vers 1900 daterait au plus tôt de cette seconde campagne. La tourelle (Cb) fut, elle aussi, aménagée en colombier dans sa partie supérieure avant la ruine de l’édifice, mais ce remaniement paraît plus tardif, car il a fait perdre à la silhouette de cette tourelle son caractère seigneurial par un arasement en appentis. On peut l’attribuer à une ultime période d’occupation du logis qui, déchu dans sa fonction de résidence par les Maniban et probablement délabré, n’était plus utilisé que comme bâtiment agricole.
Toujours au niveau 3, la chambre de la tour (A 3) a dû conserver sa latrine hors-oeuvre en état jusqu’au cours du XVIIème siècle au moins. Cette chambre fut équipée d’une cheminée murale (eh) qui condamne une archère médiévale. Doit-on accorder cette adjonction au dernier quart du XVIème siècle ou à la seconde campagne de travaux sensiblement postérieure ? La dernière option parait assez crédible dans la mesure où le conduit de cette cheminée passe exactement dans l’axe d’une fenêtre du niveau 4 de la tour (A 4), qu’il ne pouvait que condamner, et que cette fenêtre n’est pas antérieure au XVIème siècle.
Le niveau 4 de la tour conserve des aménagements importants qu’on doit pouvoir tous attribuer à la campagne de restructuration contemporaine des Guerres de Religion. L’élément le plus remarquable en est l’élégante échauguette carrée (D) portée en encorbellement dans l’angle sud-est de la tour par une console au profil savant percée de quatre mâchicoulis. Compte tenu de la ruine à peu près complète des parois murales de cette échauguette, la modénature de cet encorbellement offre le seul critère de datation relative. Philippe Lauzun la jugeait contemporaine de la construction d’origine, opinion que Jacques Gardelles a faite sienne (24), malgré la caractère assez exceptionnel de cet type d’ouvrage dans le contexte Gascon du temps.
Plus récemment, R. Caïrou, relevant le désaccord entre le caractère gracile de l’encorbellement et la sobre austérité de la construction de 1280 y a vu une oeuvre du XIVème siècle. En réalité, les échauguettes d’origine sont effectivement rares dans les châteaux gascons, et celles conservées par exemple au château de Termes d’Armagnac sont de forme cylindrique sans mâchicoulis. Le Tauzia à une tourelle angulaire en encorbellement sans analogie avec l’échauguette de Lagardère, et l’on trouve au château gascon de Plieux une excroissance de la couronne continue de mâchicoulis supposés du XIVème siècle formant une sorte d’échauguette au dessus d’un contrefort d’angle. En revanche, les bretèches enveloppant les angles de la tour-salle d’Herrebouc, assez comparables dans leur principe à l’échauguette de Lagardère, sont moins probablement liées à la construction originelle du XIVème Siècle (25) qu’à la très importante campagne de remaniement subie par l’édifice autour de 1600.
En définitive, on peut aussi bien comparer l’échauguette de Lagardère à quelques exemples de tourelles carrées en encorbellement de châteaux refondus aux XVIème ou du début du XVIIème siècle, de Gramont (Tarn et Garonne) à Lavardens (Gers), l’exemple le plus ressemblant étant l’échauguette de Terraube (Gers). Compte tenu du raffinement tout a fait inusité pour les années 1300 des modénatures de la console machicolée de l’échauguette de Lagardère, et du retour de mode de ce type d’ouvrage défensif quelque peu » maniéré » avec le temps des Guerres de Religion, il parait plausible d’y voir une composante de la campagne de réaménagement des Lavardac, d’autant qu’elle s’imposait sur la façade où avait alors été ménagée la porte à pont-levis (Pb), qu’elle contribuait à défendre.
Outre cette excroissance, les autres réaménagements de l’étage de la tour sont les fenêtres percées au milieu d’au moins deux de ses faces, car l’appui mouluré de l’une d’elles ne paraît pas antérieur au XVIème siècle (26), et sans doute la cheminée (ch) adossée et branchée au conduit de la cheminée médiévale de la salle (B 3). On a vu que la fenêtre de l’est a été occultée après coup par le conduit de la cheminée créée au niveau 3 de la tour.
On peut conclure de l’ensemble des remaniements subis par l’édifice, qu’ils correspondent au moins à deux générations répondant à des dominantes de programme dissemblables. La première génération, attribuable donc aux Lavardac dès leur prise de possession du fief et du château, tend à concentrer les espaces de stockage dans l’ancien niveau 1 subdivisé en deux niveaux, pour accroître les capacité d’accueil des étages supérieurs pour la résidence de la famille du seigneur et du personnel domestique, et pour adapter la maison aux contraintes d’une résidence non plus occasionnelle mais permanente. On améliore notamment les circulations verticales. Le programme des Lavardac inclut aussi une modernisation, tant symbolique que fonctionnelle, de l’appareil défensif, par la création d’une poterne à pont-levis et d’une échauguette spectaculaire du côté le plus exposé de la demeure. Il n’y a cependant pas de défense plus active et rationalisée dans ce programme, comme des canonnières (27).
La seconde campagne de réaménagement tend à accroître encore les volumes disponibles dans la demeure, mais pour y augmenter la part des locaux à vocation économique, dont témoigne la boulangerie au niveau 2, et la création du colombier dans une des tourelles. D’ultimes retouches, sans doute de peu antérieures à la ruine de l’édifice, confirment sa mutation en bâtiment agricole au détriment de la fonction résidentielle. C’est à cette dernière époque que remonte le murage de nombreuses baies, dont l’ancienne porte à pont-levis, sans doute à la fois pour limiter l’entretien de menuiseries inutiles et pour réduire le nombre d’ouvertures soumises à taxes. On peut estimer que la ruine définitive du château remonte à la fin du XVIIIème ou au début du XIXème siècle, ce que des recherches complémentaires permettraient sans doute de préciser.
Z. BAQUE, « Les petits châteaux-forts gascons », Bulletin de la société archéologique du Gers, 1928, p. 207-227
R. CAÏROU, Architecture militaire des XIIIe et XIVe siècles dans les châteaux et les bastides du Gers, Pau, 1986, t. 1
J.GARDELLES, « Les châteaux gascons du Condomois et du Lectourois », Annales du Midi, t.XXVII, 1966, pp. 423-432.
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G.SERAPHIN « Salles et Châteaux gascons » (in modèle de maisons-fortes), Bulletin Monumental, t.157 (n° spécial : Demeures seigneuriales dans la France des XIIème-XIVème siècles ), 1999, p. 11 -42.