Texte lu par Jacques aux obsèques de Jean-Jacques, en juin 2011
Jean-Jacques,
Ainsi donc, elle a fini par l’emporter, après plusieurs tentatives, celle que tu appelais la grande faucheuse.
Après ton hospitalisation d’août dernier, tu m’avais dit : « Je suis comme un chat: j’ai 5 vies ; j’en ai déjà consommé 4, la prochaine fois sera la bonne ». Tu avais raison, hélas. Il faut dire que les épreuves ne t’ont pas épargné ; tu as eu, selon tes propres termes, une vie mouvementée.Il ne m’appartient pas en tant que simple représentant de l’association que tu as créée, de parler de ta vie dont je ne connais que des éléments disparates, mais en tant qu’ami et même si tu restais très discret sur ton passé, je peux témoigner à quel point tu avais été marqué par une enfance douloureuse qui peut expliquer certains aspects de ton comportement d’adulte.
Parmi toutes ces épreuves, ton accident de 1992 a été l’une des plus dures et tu en as longtemps subi les séquelles, mais elle a été à l’origine de l’une de tes plus belles réussites, peut-être de l’œuvre de ta vie, l’association Lagardère.
Te morfondant sur ton lit d’hôpital pour des semaines interminables, te rappelant une visite au village de Lagardère et ta découverte d’un pauvre château en ruines , abandonné depuis plus d’un siècle, tu as eu l’idée de lancer un appel aux Lagardère de France pour qu’ils se groupent et engagent son sauvetage.
Cet appel du 4 juin (tu aurais pu le retarder de 2 semaines, toi qui aimais les clins d’oeil de l’histoire), il aurait pu, comme l’autre, passer pour farfelu et condamné à l’échec. Mais tu avais mis dans le mille et ton intuition a rencontré immédiatement un succès inespéré. Tu as su alors constituer autour de toi une équipe solide, polyvalente, mobilisée par ta passion contagieuse ; en moins de 2 ans le château était acheté , des travaux urgents entrepris, des relations étroites développées avec avec la municipalité.19 ans après et sous ta présidence continue, le château est sauvé, les travaux essentiels réalisés ou en voie de l’être très prochainement. L’action de l’association est reconnue, appréciée et aidée par les pouvoirs publics : le prix de la Société archéologique du Gers, attribué en 2006, est le symbole de cette reconnaissance.
Toute réussite de ce genre est une œuvre collective et tu as pu dire que tu devais beaucoup à l’engagement de nombreux bénévoles, passionnés comme toi, mais tous les adhérents savent à quel point, au-delà de l’ide de base, tu as été le moteur permanent du succés gràce à ta passion, ta générosité, ton imagination créatrice, ton ouverture et ta chaleur humaine.
Ces qualités, profondément ancrées en toi, ont été un exemple pour nous, au-delà des origines, des diplômes, des histoires professionnelles des uns et des autres. Elles resteront longtemps ancrées dans nos mémoires.Nous aurons l’occasion de nous retrouver souvent puique tu as choisi de reposer dans le paisible petit cimetière de Lagardère au pied de ce château qui fut pour toi une passion de 20 ans.
Nous pourrons régulièrement y célébrer ta mémoire mais je pense que le meilleur hommage que nous puissions te rendre, c’est de poursuivre ton oeuvre, dans l’esprit que tu as su lui donner. Au nom du bureau et de l’ensemble des adhérents, nous nous y engageons solennellement.
Au revoir, jean-jacques
Lorsque Jacques m’a téléphoné pour me dire qu’il souhaitait présenter ma candidature à la présidence de l’association, j’ai eu quelques hésitations. Après un moment de réflexion, je lui ai dit que je ne pourrais accepter cet honneur mais aussi cette charge que dans la mesure où il continuerait à m’accorder sa collaboration, cette collaboration étendue et efficace dont il faisait bénéficier Jean-Jacques. Vous connaissez tous la part importante que Jacques a prise dans le fonctionnement et la gestion de l’association ; il m’a dit que rien ne serait changé et cela m’a rassuré.
Mais j’hésitais aussi car, après Jean-Jacques il sera difficile d’être président des Lagardère. Car on ne peut pas remplacer Jean-Jacques. Tout au plus peut-on lui succéder.
Jean-Jacques avait pour Lagardère, le nom, le château, plus qu’une passion ; en cela il avait la foi, c’est-à-dire un engagement total un engagement qui ne s’est jamais démenti.
Jean-Jacques vivait et ne vivait que pour le château et les Lagardère, vouant à cette cause une fidélité qui dépasse sa propre vie puisqu’il est là, bien sûr, parmi nous dans cette assemblée générale, mais aussi là-bas, face au château, dans le cimetière du village ; il est là pour l‘éternité, scrutant avec bienveillance ce que nous pourrons faire pour le château dans les temps à venir.
Bien sûr, Jean-Jacques avait, comme nous tous, sa part d’ombre et de lumière mais nous, nous n’avons connu que sa part de lumière, cette amitié fraternelle qu’il portait à chacun d’entre nous. De chacun il connaissait la famille, les joies, le bonheur, les peines, attachant à chacun la même affectueuse attention. Il y avait chez lui du paternel, et c’est normal puisque nous lui devons d’exister en tant qu’association, mais aussi du fraternel puisque pour lui nous étions tous ses frères ou ses cousins.
Avec quelques vieux du village, je suis sans doute celui qui connaît le château depuis plus 70 ans. Dans les années de la guerre, je passais par Lagardère pour aller de Pléhaut à Justian où résidait ma tante Julie. Et chaque fois que ces ruines fantomatiques surgissaient devant moi, engoncées dans le manteau d’épines noires et de lierre, surgissant au sortir de ce virage où est inscrit le nom du village, tout enfant, je me mettais à rêver : Lagardère, le château. Bien plus tard j’y conduisais des amis, à la recherche d’un beau paysage gersois. Et là encore, comme beaucoup d’entre nous sans doute, je rêvais…
Mais lui Jean-Jacques, qui habitait Pau, il est venu, il a vu, il a agi. Ce fut pour lui un coup de foudre, une révélation.
Le 4 juin 1992, par une lettre circulaire, il informait les Lagardère de ses projets. Auparavant, avec l’aide de Marie-Hélène, ils en avaient dénombré 701 sur leur Minitel dont 4 dans les DOM-TOM. S’agissant de foyers, ils estimaient en leur écrivant pouvoir joindre 3500 personnes. Dans cette lettre, Jean-Jacques présentait le château, le village, le site et exposait son premier but, acheter le château. Avec 100 F, disait-il, chacun pourrait en être propriétaire d’une partie mais pas plus de 5 parts par foyer, écrivait-il. Dans cette lettre se trouvait également une ébauche de budget de fonctionnement et la définition des principaux objectifs de l’association.
En passant en revue cette période, j’ai été surpris de la rapidité avec laquelle ce projet a pris forme. Le 29 juin, il déposait les statuts de l’association « La Botte de Nevers » à la Préfecture de Pau. Il était le président du conseil d’administration, Marie-Hélène la trésorière, Alexandre, leur fils, alors âgé de 10 ans en était membre ; il y avait également Bernard Galabert, vice-président et Florence Martinonera, secrétaire. A la fin de cette même année 1992, Jean-Jacques annonçait dans une nouvelle lettre l’adhésion de 107 foyers soit 243 adhérents.
C’est grâce à cette énergie, à cet enthousiasme communicatif qui apparaissait dans les 4 lettres qu’il routa en 1992 que cela fut possible en si peu de temps. Dans ces correspondances, il expliquait qu’il avait obtenu le parrainage de Jean Piat, de Jean Marais qui avaient joué Lagardère au cinéma, de Jean Delannoy et André Hunebelle qui avaient tourné le Bossu.
Enfin il était allé à Paris et, à défaut de Jean-Luc, il avait rencontré son chef de cabinet qui lui avait promis l’aide financière de Matra. Il avait fait feu de tout bois et dans toutes les directions, ce qui lui avait valu un capital de sympathie relayé dans la presse locale
Encore une fois, quelle énergie et quelle foi dans ce nom de Lagardère, dans ce château et dans ce paysage gascon où, disait-il « il n’est pas de coin plus beau que notre morceau de terrain à Lagardère ; cette verdure, cette fraîcheur nous appartient et personne ne pourra la remplacer sur cette terre ».
J’ai adhéré à l’association en janvier 1993 en même temps que j’adressais à Jean-Jacques une lettre pour le féliciter, sachant combien la tâche était lourde et périlleuse, et lui dire qu’à l’occasion de ses voyages au château, j’aurais plaisir à le recevoir à Pléhaut, village proche de Lagardère, ce qu’il fit, bien sûr, et depuis, nos différents Conseils d’Administration se sont tenus à Pléhaut.
La dynamique mise en place en 1992 se poursuivit. En 1993, une promesse de vente fut recueillie auprès du propriétaire du château, M.Jean Bruchaut. Le 2 juin 1994, les fonds indispensables ayant été réunis, l’acte de vente fut signé chez Me Arnaud à Vic-Fezensac. Le 14 août de la même année, Jean-Jacques établissait au profit de chacun des adhérents un titre de propriété dont vous voyez un exemplaire, orné des armes des Lagardère dont il avait imaginé les caractères. Et puis, tout est allé dans la bonne direction ; le Conseil d’administration s’est étoffé : Jacques est rentré à la vice-présidence, Bernard fut chargé des études qui firent sortir l’histoire du château des incertitudes dans lesquelles nous étions. Francis fut notre ministre des finances, trésorier efficace et Jean-Jacques, notre généalogiste. Vinrent aussi Albert, passionné par cette histoire, Hélène chargée de la communication, Isabelle bien sûr et Brigitte ainsi que Pierre.
Ce conseil ainsi formé allait donner à l’Association une structure faite de compétences diverses et reconnues qui allaient permettre d’engager sur le long terme la reconstruction du château souhaitée par Jean-Jacques
Sur le plan technique un programme de travaux fut établi par Stéphane Thouin, Architecte en chef des monuments historiques sur le base d’une étude réalisée par Christian Corvisier, historien de l’architecture.
Dans le même temps furent accomplies les démarches destinées à procurer et rendre pérennes les financements publics nécessaires pour compléter les fonds propres de l’association. Ils furent trouvés auprès des services de l’Etat, de la Région et même, pour les tranches 2002 et 2004, auprès de la Communauté européenne.
Ainsi, sous l’autorité de Jean-Jacques, l’Association fut solidement arrimée sur cette commune de Lagardère avec laquelle elle entretient les meilleurs rapports.
Aujourd’hui, Jean-Jacques, je peux te dire que ce que tu as fais émerger du néant est sur les rails et son avenir est assuré ; le château sera sauvé l’amitié et la fraternité des adhérents sera confortée.
Tout cela te survivra, Jean-Jacques et de ce coin de terre qui t’appartient désormais pour l’éternité (1), tu pourras suivre avec tout le bonheur que l’on peut espérer avoir dans l’au-delà les progrès et l’achèvement de tes rêves d’homme.
(1) Jean-Jacques a été inhumé au cimetière de Lagardère où il avait retenu une concession située face au château.
Il y a presque 20 ans, en juin 1992, les porteurs du nom de Lagardère ont reçu une lettre de 5 pages signée d’un certain Jean-Jacques Lagardère, habitant à Pau, « impasse Aramis (!) ».
C’était un appel convaincant à la mobilisation de tous les Lagardère de France et de Navarre pour acheter puis restaurer le château situé dans le village du même nom, château classé monument historique mais qui, abandonné depuis plus de 100 ans, se dégradait inexorablement. Tombé amoureux du site et utilisant un possessif par anticipation, Jean-Jacques y écrivait que « dans ce paysage gascon, il n’est pas de coin plus beau que notre morceau de terrain à Lagardère. Cette verdure, cette fraicheur nous appartient et personne ne pourra nous la remplacer sur cette terre ».
Pour mener à bien son projet, Jean-Jacques Lagardère avait déposé en mai 1992 à la préfecture de Pau les statuts d’une association loi 1901, l’association « La botte de Nevers » du nom du célèbre coup d’épée qui faisait l’invincibilité du héros de Paul Féval.
Relayé par un article paru dans Sud Ouest du 14 juillet 1992 (signé Hélène Lagardère) cet appel original devait rapidement rencontrer un accueil favorable et dès la fin de l’année 1992, une centaine de foyers représentant 200 adhérents environ, avaient adhéré à l’association. Les membres apprirent alors que Jean-Jacques, employé à la mairie de Pau et qui avait été chargé notamment de l’animation d’événements importants (Téléthon, célébration du 14 juillet 1989, Floralies internationales) avait eu l’idée de mobiliser les Lagardère pour le château alors qu’il était hospitalisé à Pau à la suite d’un grave accident du travail.
Depuis 1992 et jusqu’à ces derniers temps, Jean-Jacques a été l’inspirateur, l’animateur et la cheville ouvrière de l’association. Sa créativité, sa capacité d’entrainement, sons imagination, son sens de la communication ont fait des miracles : très présent, mais sachant déléguer, il avait su constituer autour de lui une équipe de fidèles actifs qui aura à cœur de poursuivre son œuvre ; des travaux très importants ont été réalisés, qui permettent d’affirmer que le château est désormais sauvé même s’il reste beaucoup à faire ; un esprit de solidarité amicale et active s’est développé entre les membres de l’association, nourri par la réalisation de travaux d’entretien du château, par des repas en commun et des manifestations diverses ; enfin une coopération exemplaire marque les relations avec la commune dont nombre d’habitants ont adhéré à l’association et sont de bénévoles actifs.
Jean-Jacques avait des qualités exceptionnelles de communicant et a pu susciter de multiples articles de presse, notamment dans la Dépêche et Sud Ouest et plusieurs émissions dans des radios régionales et nationales. Il émettait en permanence de nouvelles idées pour développer l’association, et trouver de l’argent pour le château.
Il a notamment multiplié les tentatives auprès du groupe Lagardère pour obtenir des aides financières, avec peu de succès malheureusement même si des subventions avaient été attribuées au tout début de l’association.
Le 3 mai de cette année, il avait écrit une lettre à Arnaud Lagardère, PDG du Groupe, pour lui annoncer qu’il se proposait de faire le déplacement en fauteuil roulant de Pau à Paris au siège social de l’entreprise, en convoquant les médias, afin d’obtenir un rendez-vous. La lettre est restée sans réponse.
Il repose aujourd’hui dans le cimetière de Lagardère au pied du château qui a été sa passion, « dans la verdure et la fraîcheur » ; il restera ainsi présent dans l’esprit des membres de l’association, non seulement dans leur mémoire mais aussi dans les actions menées au château, sachant que Jean-Jacques continuera se veiller de près sur les travaux de ceux qui continuent son œuvre.